Un homme banal, petit employé sans envergure, abandonné par femme et enfants pendant les vacances d'été, rencontre une superbe jeune femme. Ce pitch de départ vous rappelle quelque chose ? Le cinéphile, dans un premier temps, pense inévitablement à Sept ans de réflexion, l'hilarante comédie de Billy Wilder. Mais voilà, nous sommes ici dans la France du général de Gaulle, notre employé modèle est incarné par Charles Aznavour et le film est réalisé par Pierre Granier-Deferre.
Paris au mois d'août est l'adaptation d'un roman, paru deux ans plus tôt, écrit par le trop oublié René Fallet. Pourtant, ce grand ami de Georges Brassens a signé des romans populaires qui connurent un certain succès en leur temps et fut souvent adapté au cinéma : Les Vieux de la vieille, Un idiot à Paris, Le triporteur, et jusqu'à la fameuse Soupe aux choux.
Dès les premières minutes, Pierre Granier-Deferre donne à son film une atmosphère douce-amère de subtile mélancolie qui sera un des points forts de Paris au mois d'août. Petit employé au rayon pêche de la Samaritaine, Henri Plantin s'ennuie ferme en attendant l'heure de fermeture. Immédiatement, il file à toute allure chez lui pour se rendre compte que sa femme et ses enfants sont déjà partis en vacances sans même lui dire au-revoir. D'emblée, le regard triste d'Aznavour et l'enchaînement d'événements sur lesquels il semble n'avoir aucune prise font merveille : le spectateur a devant lui un personnage qui n'a pas sa vie en mains, quelqu'un qui est malmené par ce qui lui arrive mais qui ne contrôle rien. Quelqu'un qui est mu, et non pas qui se meut. En bref, un petit anti-héros dénué de charisme, un Français moyen sans intérêt.
Répétons-le : Charles Aznavour est magnifique dans ce rôle ! Dans les compléments de programme, nous apprenons que, dans le roman de Fallet, Plantin était décrit comme... ressemblant à Charles Aznavour ! Et, de fait, l'acteur est magnifique de retenue, d'une exactitude rare. Plantin est un Monsieur Tout-le-monde auquel il est facile de s'identifier, pas épanoui dans son travail, pas épanoui dans sa vie de famille, subissant sa vie plus qu'il ne la savoure.
Ce constat amer est encore renforcé par une très belle exploitation du décor parisien. Tourné en décor naturel dans les rues du centre de la capitale, on y voit Plantin promener son ennui devant des immeubles dont tous les volets sont fermés, dans des avenues vides de monde, dans un Paris qui, comme lui, est plus mort que vif.
Finalement, le film prend une allure quasi-documentaire sur la France juste pré-Mai-68 (le film date de 1966). La France représentée par Plantin semble attendre une étincelle pour se mettre à vivre, elle paraît étouffer dans le carcan d'une vie traditionnelle qui n'offre plus aucun espoir d'épanouissement personnel.


Voilà pourquoi, dès qu'il va rencontrer cette jeune Anglaise désireuse de découvrir les merveilles touristiques de la capitale, Plantin va sembler revivre. C'est un autre homme qui arrive. D'ailleurs, Plantin s'invente une nouvelle vie : le père de famille discret (soumis?) devient un séducteur, le petit employé de grand magasin se transforme en artiste bohème. Plus que de simples mensonges destinés à éblouir la jeune femme, on sent facilement qu'il s'agit là de vivre des rêves qui ont été enfouis sous les cendres de la vie « normale ».
Paris au mois d'août, c'est le récit d'une vie rêvée qui devient réalité le temps de quelques jours. D'ailleurs, Paris semble même prendre vie également, suivant en cela la résurrection de Plantin.
Finalement, sous ses airs de film tout simple, Paris au mois d'août est un savant mélange de scènes drôles teintées de drame, de séquences de légère mélancolie, de description d’une société finement observée, le tout porté par une réalisation aussi discrète qu’efficace et une interprétation d’une grande justesse. Du cinéma français d’une grande qualité

SanFelice
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le 10 mai 2019

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