Symphonie urbaine, film social, bouleversements

Lorsque son père perd son emploi, la famille de Yaoting se voit obligée de retourner dans leur province du Gansu, abandonnant ainsi leurs espoirs de réussite en une vie citadine. La jeune femme continue cependant à travailler en ville pour leur acheter un appartement et leur permettre de retrouver un emploi, tout en assurer la scolarité de sa petite sœur. Mais bien vite, les problèmes financiers arrivent et Yaoting est amenée sur une pente glissante.


Diffusé à Un Certain Regard au 70ème festival de Cannes dans la plus grande discrétion, Passage par le futur aurait cependant mérité un coup de projecteur bien plus puissant puisqu’il s’agit d’un des meilleurs films du festival, toutes catégories confondues. C’est une œuvre qui concentre plusieurs histoires autour d’un même personnage, une jeune femme chinoise ordinaire, pour traiter plusieurs thèmes autour du contexte de la Chine moderne. Les œuvres sur les ennuis actuels du pays ne sont pas rares à Cannes, au contraire (on retiendra notamment le très grand Au-delà des montages en 2015) et Passage par le futur s’inscrit dans cette lignée, tout en se plaçant également dans le haut du panier. Ambitieux, il réussit tout ce qu’il entreprend et offre un résultat extrêmement riche. Démarrant sur l’histoire d’amour d’une triste banalité entre Yaoting et le jeune homme qu’elle a rencontré sur une application de rencontre, Passage par le futur propose une vision désillusionnée des relations amoureuses 2.0. Désillusionnée, certes, mais pas misanthrope pour autant puisque cette histoire un peu trop virtuelle pour bien débuter saura trouver sa part de romance, devenant progressivement un enjeu touchant, tout en observant les conséquences de nouveaux modes de communication d’aujourd’hui. Témoin de l’étrangeté des rapports sociaux actuels, l’histoire d’amour bascule progressivement vers les mécanismes sociaux généraux.
Le regard aiguisé de Li Ruijun permet de relier sans peine une romance à la question de la santé dans un univers ultra capitaliste, en passant par la fascination pour la perfection physique, au détriment donc des problèmes financiers ou de santé. De ce fait, le scénario est à la fois empreint de rebondissements constants, d’une indéniable richesse et d’une fluidité naturelle. Passage par le futur dépeint avec mélancolie un monde apparemment pourri mais bénéficie pourtant d’un certain espoir à travers sa romance naissance, bien qu’ancrée dans son monde. Ce n’est pas un film âpre, et encore moins cynique, le réalisateur ne se laisse pas aller à la facilité. Il traite avec application la psychologie de chaque de ses personnages, véritables portraits de chinois modernes plutôt que tristes et immobiles figures cinématographiques.


Enfin, la mise en scène est d’une grandiloquence des plus discrètes. Li Ruijun joue avec le reflet d’une vitre, les paysages d’une ville, la naissance d’immeubles, symbole d’une industrialisation massive et d’une surpopulation au détriment de l’individu, mais le fait sans cesse à hauteur humaine. Passage par le futur est une observation très sociale d’un pays, conférant au tableau dépeint une agréable chaleur, une empathie et une identification totale aux protagonistes. Le mélange des genres est réussi mais ce qui étonne définitivement le plus dans l’œuvre est le traitement au compte-goutte du mélodrame. Il s’agit de sensibiliser, il s’agit de dénoncer, d’émouvoir mais il s’agit également de traiter ses personnages avec un immense respect, de stopper les scènes quand elles doivent l’être, de créer le drame sans l’exposer de manière impudique. Le pathos est parfois nécessaire, ici bien dosé. Passage par le futur sert le cœur et garde les yeux secs. Enfin, on retiendra quelques scènes extrêmement fortes, comme celle dans un karaoké où la musique triste ne s’arrête pas sur le chagrin de Yaoting lorsque soudain, le tube mélancolique se transforme en quelque chose de plus joyeux, laissant le personnage seule dans un plan fixe qui implore désespérément à l’aide.


Le meilleur long-métrage du 70ème Festival de Cannes aura été présenté dans une consternante discrétion, à Un Certain Regard. C’est cependant une œuvre extrêmement riche, ambitieuse mais toujours humble, qui traite autant de l’individualisme que de l’individu. Un très grand film, peut-être même un chef d’œuvre, bouleversant.

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le 14 sept. 2017

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