De manière qu'il y a une putasserie du cinéma commercial qui consiste à recycler les mêmes scénarios en variant deux ou trois paramètres en prenant le spectateur pour un idiot, il y a une putasserie du cinéma "d'auteur" (enfin, à 35 millions de dollars tout de même) qui consiste à cocher toutes les cases ☑☑☑☑☐☐☐ d'un cahier des charges pour récolter les lauriers d'une critique décidemment bien complaisante et d'un public qui aime la prise de risques très calculée.

Pauvres Créatures se présente comme une relecture high concept du mythe de Frankenstein, à la sauce féministe, surréaliste, comique, avec un côté moraliste, autrement dit un peu comme si Dupieux réalisait un scénario de Ruben Ostlund. Dans un prologue en noir et blanc qui laisse rapidement la place à de la couleur ☑ (c'est à la mode, alors on le fait, posez pas de questions) sans que la transition corresponde à un événement particulier, on nous présente les personnages : God (quelle subtilité), le scientifique fou à l'origine de la création, Bella (quelle subtilité), la créature à la cervelle d'enfant et au pubis de femme ☑, qui s'exprime comme les Congolais dans Tintin pendant la première partie du film #bestactress #oscars2024, Max McCandles, le gentil assistant du docteur, et Duncan Wedderburn, le séducteur invétéré #balancetonporc.

Ils évoluent dans un décor léché et instagrammable en diable (☑), dans un monde à mi-chemin entre l'Angleterre victorienne et le steampunk (☑) qui ne sera jamais expliqué ni exploité (mais fera de belles photos promo ☑), avec des plans fisheye qui foutraient la nausée à Jeunet tellement ils sont nombreux (c'est laid comme tout et ça ne sert strictement à rien, mais comme tous les grands réalisateurs comme Welles ou Ophüls ont un type de plan fétiche, on s'est dit qu'on allait le faire aussi ☑), et quelques rares trouvailles visuelles façon Bunuel du pauvre ☑ (les chimères).

Le film s'embarque ensuite (littéralement) dans une série d'épisodes, de Lisbonne à Paris en passant par Athènes (☑), qui seront l'occasion pour les décorateurs de rivaliser avec Wes Anderson dans le clinquant des chambres d'hôtel et des salles à manger (☑).

Comme on le pressent rapidement avec ce format épisodique (qui est vraiment casse-gueule au demeurant), chaque épisode est plus ou moins la même chose, Bella se brouille puis se réconcilie (au lit, pour choquer le bourgeois ☑ ) avec l'homme à femmes qui devient de plus en plus pathétique et dépendant d'elle au fur et à mesure qu'elle devient de plus en plus indépendant #féminisme ☑

Dans chacun des épisodes, on a droit à des dialogues qui jouent sur le décalage entre la naïveté de Bella et les convenances sociales ☑, avec une focalisation sur la masturbation qui sent bon la mise en abyme, et à une dose de philosophie niveau CM2 ☑, du genre les cyniques critiquent les conventions sociales, ou les socialistes se battent pour que la vie s'améliore (c'est une citation presque mot pour mot !). On ne se fera pas beaucoup plus mal aux boyaux de la tête qu'en regardant Le Transporteur 3, avec un niveau de réflexion pareil.

A la fin du film, on atteint la conclusion logique de ce voyage féministe et le passage qui a beaucoup fait parler : l'arrivée de Bella dans un lupanar parisien (dans les films américains, les bordels sont toujours à Paris ☑). La créature se réapproprie son corps et ses moyens de production ☑ (#girlpower #sexpositive #sexworker) et fout le bordel dans le bordel en imposant ses choix #moncorpsmonchoix ☑ (c'est l'occasion de l'unique scène vraiment drôle et vraiment provocatrice du film d'ailleurs, celle où un père donne un cours d'éducation sexuelle "pratique" à ses deux fils).

à la fin, un ultime rebondissement, apparition d'un nouveau méchant caricatural sans intérêt, happy end. La morale est sauve, l'émancipation féminine c'est bien, les méchants sont punis, le mariage forcé c'est mal, le mariage tout court c'est mal d'ailleurs. On reste ébahi devant tant d'audace, avant de se rappeler que dans l'expression "conte philosophique" on a au moins les trois premières lettres qui sont vraies.

Je n'ai pas un intérêt particulier pour les débats sur le côté féministe ou pas du film, en particulier je défends le droit aux réalisateurs de montrer des choses immorales sans avoir ni à les cautionner ni à les condamner explicitement, ce qui ne semble plus aller de soit à notre époque. J'ai quand même lu avec attention celles et ceux qui ont parlé du lieu commun (topoï en bon français et non pas trope qui a un autre sens) "born sexy yesterday", car il est vrai que cela rappelle fortement les héroïnes de Luc Besson qui sont des créatures sans passé ou sans mémoire qui font leur éducation sexuelle avec le héros, généralement un geek gentil, comme la vision qu'a en général de lui-même le réalisateur.

Ce qui est cocasse ici c'est le retour de bâton, on veut faire un film féministe en enfourchant tous les thèmes à la mode, et à la fin ça ne l'est jamais assez, car faire de tous les personnages féminins des êtres parfaits et sans aucune aspérité va à l'encontre de toutes les règles dramaturgiques.

Maintenant qu'il a coché toutes les cases du film d'auteur pour "porteurs de tote bag NPR" (dixit Angelica Jade Bastién), et avec une savante campagne de promotion qui va éclipser d'autres films bien plus méritants, Lanthimos peut attendre la pluie de récompenses dans les festivals avec son film pseudo-provocant et totalement vide, et préparer son prochain film high concept pseudo-provocant et totalement vide. Mais cette fois-ci, ce sera sans doute sans moi.

PatMustard
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le 25 mai 2024

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Pat_Mustard

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