"Comment on fait pour "dé-voir" un film ?"

C'était la question que je me suis posé en sortant de la salle. Comment est-ce possible de passer à côté du message que l'on souhaite faire passer ? Est-ce une maladresse de sa part ou est-ce que Lanthimos et Tony McNamara souhaitent nous faire passer un autre message ?

Je ne sais pas quoi en penser, mais une chose est sûre : L'ayant découvert avec ce film, je ne sais pas si j'ai envie de voir le reste de la filmo de ce bonhomme...

Tout partait tellement bien...

"Une femme victime d'un accident se voit ressuscitée par un médecin brillant, mais avec l'âge mental d'un bébé."

Quand j'ai entendu le pitch, les thèmes abordés et que j'ai vu l'univers, j'ai été direct conquis. C'est franchement une superbe idée pour explorer tout ça tout en changeant de perspective. Déjà le fait de voir des enfants entourés de gens malsains est dérangeant, mais alors là en ayant une femme plus âgée et mentalement réduite, le côté glauque sera vu sous un nouvel angle et servira à dénoncer beaucoup de comportements.

Alors au final, quel en est le résultat ?

Le film est beau ! Ça ne plaira probablement pas aux personnes préférant des univers réalistes mais ces compositions aux couleurs vives, aux aspects fantaisistes parfois steampunk, et ces costumes... C'était magnifique de bout en bout, une vraie proposition visuelle, rien à redire. On se croirait dans un univers à la Guillermo Del Toro, mais suffisament personnalisée. Tout cet aspect aussi fascinant que morbide est accompagnée d'une musique bien expérimentale, mais qui convient parfaitement avec l'univers et le propos, tantôt glauque, tantôt fantasque.

Entre Emma Stone qui gère un personnage bien compliqué sans tomber dans le surjeu, Mark Ruffalo qui navigue super bien entre l'homme extravagant, séducteur, un peu bonnet puis pervers narcissique et opportuniste, et enfin Willem Dafoe qui montre toujours qui est le patron, l'acting est quasi parfait. Et personnellement, ça ne m'étonnerait pas de voir un oscar parmi ces prestations.

Donc bon tout partait merveilleusement bien, puis...

Le sujet qui fâche : La Pédophilie

Parce que oui on va pas passer par 4 chemins, ce film est assez ambigu avec la pédophilie.

Bella a le corps d'une femme adulte, mais a la mentalité d'une enfant de 2ans au début du film. Et c'est les 2 pieds dans le plat que va mettre le film en exposant la question glauque suivante : Est-ce que si l'âge n'est pas règlementaire, mais que le physique fait "adulte", on peut y aller ? Question à laquelle Alfie semble passer complètement à côté (ce qui est malheureusement réaliste) et à laquelle Godwin dit non, mais avec l'excuse totalement délirante qu'il la considère comme sa fille car énuque qu'il est, "il ne peut pas la baiser". C'est cru, mais ça a le mérite de faire une belle entrée en matière sur le sujet en montrant que même proches, il y aura toujours des hommes pour profiter de la faiblesse des femmes. Puis arrive Duncan, abject avocat s'adonnant à un détournement de mineur et là le film part en vrille...

Montrer un acte sexuel explicite fictif avec ces personnages est une chose. Choquant, mais ça a le mérite d'être politique. Par contre, le montrer avec des ressorts comiques ????

Cette scène à l'hôtel entre UN QUARANTENAIRE et une enfant de 8-10 ANS est juste IGNOBLE (parce que oui concrètement au vu de sa démarche et son language, c'est ça). On aurait pu s'adonner à du comique de situation, mais pas avant au moins la seconde moitié de l'adolescence de Bella. Ou alors si on reste dans ces tranches d'âge, mettre un peu de dramaturgie pour montrer qu'il y a un problème.

Et à contrario de l'aspect "Féministe" du film où des comportements sont dénoncés (quoique on va y revenir...), là on te montre que c'est "juste" la découverte sexuelle libre d'une gamine (dieu merci, elle grandit au fur et à mesure du film...).

Je vais m'arrêter là pour cette partie parce que je peux en parler des heures, mais je vais conclure en rappelant des choses simples : Découvrir seul son propre corps avant ses 10 ans est normal, mais le découvrir avec une personne majeure, non. Ça n'est pas synonyme de liberté sexuelle, mais plutôt de manipulation par une personne perverse, ce qui prépare le terrain à des troubles destructifs parfois irréversibles (autant sexuels que mentaux).

Si vous connaissez un enfant dans cette situation, appelez le 119.

**

Une émancipation ? Vraiment ?

Une fois passé ce début vomitif qui m'a fait craindre chaque scène de sexe, vient le temps du discours principal du film : Comment s'extirper de l'emprise des hommes ?

Déjà on peut s'interroger sur une chose : Pourquoi faire une fixette quasi uniquement sur le sexe ? La vie et les relations entre les personnes ne se résument qu'à ça ?

Pourquoi ne pas parler des normes de société qu'on impose aux femmes ? Du fait que certains métiers leur soient difficilement atteignables ? Qu'elles ne peuvent se cultiver sans effrayer au moins un homme ? Qu'on les méprise très souvent ?

Les problématiques féministes sont nombreuses mais y'a clairement eu un choix de se concentrer sur le sexe, ce qui en soit est un choix comme un autre, mais traité superficiellement comme il l'est ici c'est à la fois dommage et à la fois démonstratif de l'obscénité et de l'immaturité de McNamara et de Lánthimos.

Mais bon soit : Niveau dénonciation, le film est quasiment réglo. Duncan est clairement dénoncé comme un pervers narcissique, Godwin prive Bella de sa recherche de son identité, Max est un dangereux séquestrateur et tortionnaire, etc... Bon on a quand même Alfie présenté comme le nice guy mais a qui ça ne pose pas de problème d'épouser une enfant de 3 ans mais bon hein quand on voit le traitement de la pédophilie, on est plus à ça près. Face à tout ça, Bella fait mine mais ne tire rien de ses enseignements d'oppression des hommes.

  • Elle se rends compte de la domination que les hommes ont sur elle et souhaite s'épanouir sexuellement en tentant tout ce qu'elle désire. Résultat : Elle se prostitue et se retrouve soumise à des hommes.
  • Elle se rends compte que la prostitution est dictée par la volonté d'hommes et que les femmes subissent. Résultat : Sa patronne lui dit "C'est comme ça, ferme ta gueule et va te faire baiser", elle obéit sans rechigner.
  • Elle se rends compte que son absence de recul face à ses pulsions la rends vulnérable face aux hommes. Résultat : À son mariage avec Alfie, elle file finalement avec Max, son ancien mari, car Monsieur possède un fiacre.

Hormis faire passer le message que les femmes n'ont pas d'échappatoire face aux hommes et qu'elles sont vénales, je vois pas ce que Bella a de gratifiant. Elle est bien dépeinte en tant que personnage qui fait fit des normes établies pour créer ses propres règles mais au final à chaque occasion, elle fléchit le genou et laisse passer. Ca aurait pu être un ressort dramatique mais non, le film montre sa supposée réussite à la fin.

Le scénariste Tony McNamara a un sérieux manque de compétence dans ce genre de sujet. Et même avec des points annexes ce mec est stupide, comme avec cette mise en avant du socialisme totalement illogique, qui prône "la propriété des moyens de production" dans le cas de la prostitution. Si Bella et encore plus Toinette étaient convaincues d'avoir la main pleine et entière sur "leur appareil de production", ça aurait peut-être été pertinent de s'interroger sur le rôle de Mme Swiney qui est littéralement leur patronne et qui leur demande de la fermer et d'accepter gentillement...

Conclusion

Pauvres Créatures, c'est un film qui derrière sa beauté visuelle, son acting, ses musiques et son air arrogant cache un sous-propos crasseux et insultant envers les femmes. Oui, c'est peut-être drôle et parfois satisfaisant de voir Bella, sans filtre, dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas vis-à-vis des hommes qu'elle côtoie. Mais s'arrêter à ça, ce n'est pas voir tout le manque de travail de recherche du scénariste et ses idées malsaines qu'il tente d'infuser.

Au vu du rapport qualités/défauts du film, 1/10 peut sembler excessif. Mais je pense que c'est mérité quand on a affaire à un film aussi mal écrit et dangereux comme lui.

P.S. : J'ajouterai autre chose : Pour ceux qui ont vu le film, la scène avec le marin et la mouette... J'espère avoir mal compris ce que j'ai vu, mais si c'est bien le cas, c'était totalement gratuit.

Datjo_
1
Écrit par

Créée

le 5 févr. 2024

Critique lue 237 fois

2 j'aime

Datjo_

Écrit par

Critique lue 237 fois

2

D'autres avis sur Pauvres Créatures

Pauvres Créatures
takeshi29
7

Stoooooone, le monde sera Stooooooooooone... le 17 janvier

"Pauvres créatures" c'est : - Emma Stone comme on ne l'a jamais vue.- Des animaux deux en un (J'ai commandé un coq-bulldog pour Noël).- Un discours très dans l'air du temps, mais traité ainsi c'est...

le 29 nov. 2023

129 j'aime

15

Pauvres Créatures
Sergent_Pepper
7

La troll ingénue

Yórgos Lánthimos appartient à cette catégorie de cinéaste dont on attend toujours le prochain pitch avec une excitation curieuse. Son univers décalé, mêlant le surréalisme aux angoisses...

le 19 janv. 2024

89 j'aime

2

Pauvres Créatures
Plume231
8

La Liberté guidant la créature !

Je ne sais pas trop par quoi commencer tellement il y a de choses admirables dans cette œuvre vraiment pas comme les autres. Allez, par la mise en scène ! C'est un délire visuel constant. Je crois...

le 16 janv. 2024

86 j'aime

10

Du même critique

Saw X
Datjo_
3

C'est ça votre opus censé relever le niveau ?

Après le 4, 5, 6 et 7eme opus vraiment nuls et les 2 derniers très médiocres mais qui ont au moins eu le mérite de tenter quelque chose, voici la 10ème fournée des Saw, avec le grand retour de John...

le 25 oct. 2023

1 j'aime

Older
Datjo_
10

Ça prend au tripes

Lizzy McAlpine, je l'ai découvert avec Jacob Collier dans Erase me. J'ai été convaincu dès le début par cette voix douce, qui peut sembler assez monotone, assez non-chalente, mais qui sait quand...

le 24 mai 2024