Qu'on se le dise, je ne connais rien au mythe de Frankenstein. Ni la symbolique ni les questions métaphysiques et cie de cette histoire, enfin de ce mythe. Je crois que Pacôme Thilliement l'a évoqué quelques fois dans ces excellentes essais-vidéos, mais c'est tout. De ce que je m'en souviens du mythe originel c'est l'historie d'un scientifique fou qui crée un monstre, que ce monstre fout le brin et que des villageois veulent le(s) tuer.
Bref j'y connais rien. J'crois avoir vu une des nombreuses version en noir et blanc mais je n'en suis pas sur. Peut être que ce n'était que des extraits issus des innombrables films sur le sujet, plus d'une cinquantaine ! Quel est le rapport avec Poor Things me direz-vous ?
Et bien Poor Things c'est un énième revisitage du mythe de Frankenstein. Cette fois-ci à la sauce surréaliste, grotesque et féministe !
Surréaliste voire fantastique car on s'y retrouve bien dérangé. Niveau ambiance c'est un peu comme dans les premiers films de Jean-Paul Jeunet, Délicatessen ou la Cité des Enfants Perdus. Dans le scénario dés le début y'a un coté sanglant et dramatique mais qui est vite éclipsé par l'humanité et la tendresse des personnages. Le genre de vibes à vous rappeler que même après la pire des boucheries guerrières il est toujours possible de s'aimer, de s'entraider, de faire société. On ne sait pas trop vers ou le film nous emmène mais on y va avec grand plaisir ! S'il faut parfois un peu de temps pour se mettre dans le bain, les décors oniriques vous feront bien voyager et le mélange art nouveau/steampunk est assez envoûtant.
C'est aussi un film féministe car l’héroïne en quête d'initiation, d'indépendance et d'autonomie apprend au fur et à mesure et avec une logique implacable à se défaire des pièges de la domination masculine.
La masculinité, enfin les masculinités sont moquées avec joie et analysées à la lueur du scalpel de l'émancipation.
De la masculinité la plus toxique et violente : celle de la territorialité prenant les corps des femmes pour des objets à conquérir puis à contrôler et voyant leurs sexualités non-exclusives comme des tentatives d'évasions se récompensant par la mort : « tu te soumets ou je te tue ».
[Ce qui est finalement le maitre-mot de tout féminicide et le leitmotiv de toute forme de domination]
... à l'autre, la masculinité du coureur de jupons irrépressibles qui se retrouve pris dans le piège qu'il a des centaines de fois tendu à la gente féminine mais qui ne supporte pas d'être éconduit, c'est à dire de perdre le contrôle des femmes qu'il manipule. Oui bien sur je parle de la gente féminine cisgenre. Oui hormis un peu de sexe lesbien, le public queer n'y trouvera pas grand chose sortant des sentiers battus du « cis-tème ». On reste dans le féminisme de masse, et le scénariste est un homme cishet. Comme moi. D'ailleurs j'ai aussi vu le film comme film d'éducation à la masculinité non-oppressive. Donc si vous voulez vous défaire un peu plus de ce qu'il reste du Vieux Monde en vous ou mieux bousculer un macho dans ses certitudes, emmenez-le voir ce bijou ! Et appâtez le avec les scènes de cul, y'a quoi se rincer l'oeil !
Bref.. bref je ne vais pas en dire plus. Le film vaut la peine et est audacieux sans tomber dans le pathos ! Dommage que le socialisme y soit seulement évoqué et qu'au final cela en fait une énième sublimation de la petite bourgeoisie intellectuel plutôt qu'un film phare d'un monde sans domination. Mais j'y ai passé un agréable moment et je conseille d'aller le voir avec vos potes cishet ! Outre la portée émancipatrice, cela reste un film qui fait le taf en terme d'évasion.
A la fin vous n'avez pas vu le temps passé, vous vous êtes bien amusé (si on partage les mêmes sensibilités), et vous avez été emporté dans un tourbillon de farces et de réflexions.
Le film arrive à rester assez léger malgré la lourdeur de certain thèmes (monstruosités, violences patriarcales, violence intrafamiliale, mépris de classe..). C'est plutôt une prouesse !
A voir !