Première bonne nouvelle : le cinéma est se porte bien, il est même en grande forme, car en mouvement perpétuel, et sait se reconstruire. Sans aucun doute, au-delà de ces défauts indéniables, Pauvres créatures participe à cet élan de vitalité qui permet au cinéma d’être encore étonnant – et beau, d’une beauté bizarre.
La Mostra de Venise, lui ayant décerné rien de moins que le Lion d’or, ne change pas sa ligne directrice en attribuant une grande importance à la portée esthétique de l’œuvre – alors qu’à Cannes, les questions socio-politiques sont clairement mises en avant. En effet, le choc provoqué par Pauvres Créatures est d’abord d’ordre visuel et sensoriel : passage du noir et blanc à la couleur, fish eye, effets spéciaux, saturations des couleurs, décors réinventés de grandes villes, intérieurs grandioses, magnifiques costumes, visages taillés au bistouri, etc. À la fois travail faramineux des chefs décorateurs puis de la costumière pour bâtir un univers fantasmagorique singulier, et créativité sans borne du cinéaste Yórgos Lánthimos disposant pour l’occasion d’un budget important (35 M de dollars), cet ovni cinématographique aussi fascinant qu’étrange, baroque, gothique, d’une excentricité assumée, a le mérite de détonner.
Toutefois, si ce conte singulier à la frontière entre le mythe de Frankenstein, Alice au pays des Merveilles de Tim Burton et Candide de Voltaire nous emporte, après nous avoir fait passer par l’étape du malsain, dans un long et enivrant périple dans l’espace, avec cette prouesse de recréer de grandes villes avec des décors foisonnants plein de détails loufoques, mais aussi dans le temps, avec cette « histoire qui se déroule dans le passé, mais avec la vision du futur », comme le précise Shona Heath, l’une des cheffes décoratrices, multipliant ainsi les anachronismes s’apparentant au streampunk, sous-genre de la science-fiction, il déçoit par l’apprentissage assez caricatural (à l’image du discours que tient sa collègue et amie Toinette) et au fond masculin de la féminité par le personnage de Bella, avec pour comble sa prostitution toutefois syndiquée. C’est plutôt chez sa souteneuse qu’il faut entendre la voix de la sagesse et une vision du monde plus nuancée et réaliste.
À voir absolument pour le détour dans cette terra incognita du cinéma – et pour cette délirante scène de danse.
7,5/10