Voilà un film qui commençait bien, puis s'est pris les pieds dans le tapis avant de lamentablement s'éclater la gueule contre le parquet.

Si la forme bénéficie d'idées originales et bien réalisées, le fond est un véritable massacre. Après les premières minutes du film, je m'attendais à un film dénonçant la sexualisation précoce et la manipulation du personnage de Bella Baxter par les hommes qui l'entourent. Si j'avais su à quel point j'étais dans l'erreur, je n'aurais pas perdu deux heures de mon temps à voir cette atrocité. Ce film est un condensé de tous les clichés que le regard masculin nourrit à l’égard du féminisme, et une réduction sans gêne et machiste des femmes au statut de corps. Yórgos Lánthimos aurait au moins pu tenter de s’en cacher, et de prétendre avoir déjà lu un ouvrage féministe plutôt que d’afficher ainsi son mépris et son ignorance.

Le film commence sur le thème de la pédophilie : Bella Baxter a le cerveau d'une ENFANT, son corps d'adulte est un leurre qui n'est pas significatif de son niveau de développement. Pourtant, les scènes de sexe auxquelles elle prend part sont montrées comme tout à fait naturelles. Nous parlons d'une enfant ayant des relations sexuelles avec un homme adulte, vous vous souvenez ? Bella Baxter est montrée comme consentant en pleine conscience à ces actes, tout en étant une enfant, ce qui est d'une part irréaliste et d'autre part, carrément dangereux. C'est un discours qui aboutit in fine à déresponsabiliser les hommes qui la manipulent. Il aurait pourtant suffit d'une scène expliquant que Bella grandit dix fois plus vite que la normale pour balayer ce sous-texte prenant la défense de la pédophilie.

L'autre grand thème de Poor Things est l'émancipation féminine. Ah, comme j'aime voir des hommes penser qu'il suffit de s'envoyer en l'air avec des inconnus pour grandir et se construire en tant que femme ! Le sous-texte du film est clair : jeunes filles, vous deviendrez des femmes en baisant. C'est tout. Le vide abyssal de réflexion derrière ce film est atterrant. Il ne suffit pas de montrer des scènes de sexe où une femme prend du plaisir pour faire un film féministe. Poor Things est même carrément misogyne : il réduit les femmes à leur corps, annihile toutes les questions d'émancipation intellectuelle. L’émancipation des femmes ne se limite pas à une libération de leur sexualité. Si le film avait choisi de se cantonner à ce thème, son propos aurait pu être acceptable, mais ce n’est pas le cas, et il présente la sexualité des femmes comme unique moyen de s’émanciper. Détestable.

Le personnage de Bella Baxter n’évolue pas, si ce n’est qu’elle découvre que le monde n’est pas si beau qu’elle le croyait, et qu’elle aime beaucoup baiser. Belle opinion de la gent féminine, pas vrai ? Cette fin en est la preuve parfaite : elle suit les traces de son père, épouse l’homme qui souhaitait l’épouser tout en sachant qu’elle était une enfant, et assiste sans broncher à la servitude de la deuxième créature de Godwin, jouée par Margaret Qualley - sa réduction à une servante malhabile en dit long sur la réflexion derrière ce film.

Si ce film n’était pas aussi mauvais, j’aurais presque pitié pour le réalisateur qui expose pendant deux heures son ignorance totale du corps féminin et de la condition féminine, la honte. Je m’explique. Yórgos Lánthimos tente de nous impressionner avec quelques scènes gores et un bon nombre de scènes de sexe, mais occulte totalement le côté biologique des femmes. Pourquoi ne pas montrer une découverte de son corps autre que sexuelle par Bella ? En d’autres termes, s’il tient tant à exposer les seins d’Emma Stone, pourquoi ne pas montrer une partie de jambes en l’air avec des effusions de sang menstruel tâchant les draps et les corps, et Bella hurlant à la mort car pas un seul de ses mentors n’a pensé à lui expliquer le principe des règles ? Non, bien sûr, le public aurait été choqué, et ce n’est pas le genre de choses que les hommes aiment voir. D’autres me diront qu’un film n’a pas toujours vocation à être réaliste : d’accord. Mais alors, pourquoi cette scène où le premier « amant » de Bella Baxter lui explique qu’il doit prendre une pause ?

Ce que je trouve tout autant scandaleux, est cette passion que le réalisateur a de montrer la prostitution comme un moyen d’émancipation, ce qui extrêmement douteux. Quantité des femmes en souffrent, et quantité d’anciennes travailleuses du sexe témoignent du fait que leur choix de carrière a été poussé par un rapport à la sexualité influencé par des évènements traumatiques. Encore heureux, le film dépasse le jugement moral et se moque de ceux qui s’y accrochent, mais le fond du propos est trop creux pour considérer cela comme un véritable point positif... Et c'est sans parler du fait qu'une partie de ce début de réflexion est subitement effacé par l’idée qu'un client pénétrant Bella avec brutalité est un ressort comique.

En résumé, Poor Things est la traduction sous forme de film du fantasme que les hommes nourrissent à l’égard de l’émancipation féminine : une libération essentiellement sexuelle, qui leur profite énormément, et occulte totalement le fait que, surprise, les femmes sont capables de pensées.

Créée

le 21 mars 2024

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