Dernier film de Yamanaka figurant parmi les trois seuls ayant survécu à la guerre (sur 23 tout de même), Ninjo kamifûsen —fable ironiquement prédictive— sortira le jour même où le réalisateur prendra un billet aller simple pour la mandchourie.

Le titre du film traduit par « Humanity and paper balloons » trahi déjà une idée de fragilité intrinsèque des thèmes abordés. Ici le jidaigeki désacralise le mythe du samourai, lui conférant une errance et une faiblesse toute humaine dont le parallèle avec le sort d’un ballon de papier livré au vent et aux courant de l’eau semble plus qu’éloquent.

Dans cette peinture d’une société ultra codifiée, hypocrite, Yamanaka prend surtout soin de choyer sa galerie de personnages de la rue, espiègles et bon enfant, parfois ridicules et immatures, mais souvent sympathiques. Il en ressort une impression de vie et de chaleur humaine —certes bruyante et envahissante— mais néanmoins rassurante. Un contraste avec l’envers des évènements et leur conclusion désolante et dramatique.

Car par delà la reconstruction d’un contexte historique se cache une histoire somme toute terriblement en accord avec le Japon des années 30 troublé par un début de XXème siècle apportant son lot de changements irréversibles. Disgrâces, disparition d’anciens privilèges, remise en question d’une hiérarchie sociétale jusqu’alors immuable, reconversion existentielle et professionnelle. On évoque d’ailleurs souvent dans le film les notions de fierté, d’orgueil et de déshonneur. Notions qui, de façon intéressante, émaneront principalement d’un personnage d’abord donné à percevoir comme un incorrigible vaurien (Shinza: le coiffeur baratineur).

Matajuro, ronin dont la femme se voit obligée de confectionner les fameux ballons de papier du titre pour subvenir aux besoins du ménage, est la représentation même de ce chamboulement des valeurs. Les liens tissés par les parents et leur poids ont cessés de peser dans la balance des ambitions personnelles. L’ingratitude et l’individualisme ont remplacé les relations basées sur l’intérêt commun. Pour ne pas perdre la face vis à vis de son épouse, Matajuro lui mentira en lui faisant croire que leur conditions ira en s’améliorant, tandis que de son côté il essuiera mensonges et humiliations de l’ancien ami de son père —lui ayant pourtant permis d’obtenir sa position aisée— qui refusera de l'aider.

Il sera ainsi question de déception et de désillusion dont seul un acte définitif semblera (vraiment?) laver le déshonneur. La fin, en soi, constitue un terme sans solution ; une façon triste et empreinte de fatalisme de démontrer, images à l’appui, que nous ne sommes finalement rien de plus que les jouets fragiles et légers du destin.
real_folk_blues

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