Un thriller politique dynamique signé Spielberg

Quand on connait les futurs projets de Steven Spielberg (Indiana Jones 5, un remake de West Side Story) et son second film pour l’année 2018 (le très attendu Ready Player One), on se dit qu’avec Pentagon Papers, il boucle un semblant de triptyque qu’il avait entamé en 2012. Une trilogie exclusivement centrée sur la politique des États-Unis, qui évoquait l’Histoire tout en voulant pointer du doigt quelque chose d’actualité. Pour Lincoln, en s’appropriant les derniers jours du célèbre Président, le réalisateur en profitait pour le combat, parfois ridiculement long, des débats politiques. Avec Le Pont des Espions, c’était pour parler de la Guerre Froide en insistant bien sur les amalgames que pouvaient induire les deux doctrines (Truman et soviétique), faisant écho aux préjudices à l’égard des musulmans à cause du terrorisme. Après une petite « récréation enfantine » décevante, Le Bon Gros Géant, le grand Steven nous revient donc avec un nouvel épisode de son cru, en se concentrant cette fois-ci sur la période post-Viêt Nam. Une mise en bouche réalisée de main de maître avant l’arrivée de son blockbuster !


Au premier abord, Pentagon Papers aurait très bien pu être un thriller politique banal, avec lequel beaucoup se seraient cassés les dents en ne faisant que raconter le script de base. En ne livrant que le minimum syndical. À savoir la révélation de documents top secret par le New York Times et le Washington Post (le film se concentre plus particulièrement sur ce journal), mettant sous le feu des projecteurs le fait que le gouvernement continuait d’envoyer des soldats combattre pour une guerre perdue d’avance tout en assurant le contraire (et ce malgré bon nombre de magouilles). N’importe quel cinéaste hollywoodien se serait contenté de ce seul postulat, ne comptant que sur le prestige de son casting (mené par Meryl Streep et Tom Hanks, impériaux comme à leur habitude) pour sauver les meubles. Les faits auraient défilé sous nos yeux de spectateurs attentifs, sans originalité. Nous, nous aurions sans aucun doute trouvé ça intéressant car d’aspect pédagogique, mais aurions surtout trouvé le tout bavard, voire ennuyeux. Qu’à cela ne tienne, Steven Spielberg a réussi à contourner cela, faisant de Pentagon Papers un véritable thriller palpitant qui parvient à tenir en haleine de bout en bout.


Si l’on devait résumer le film en un seul mot, cela serait « dynamisme ». Bien loin de Lincoln et du Pont des Espions qui avaient quelques longueurs pouvant en dérouter plus d’un, Pentagon Papers affiche une énergie inattendue qui se traduit par bien des aspects. Déjà par la mise en scène de Spielberg, le cinéaste ayant décidé de suivre pas-à-pas le « chemin » d’une information au sein d’un journal, de sa source jusqu’au résultat papier. Entraînant pour l’occasion diverses séquences de discussions, de débats et de joutes verbales en tout genre. Une intrigue soulignant une terrible course contre la montre que doivent gérer les protagonistes. Un montage exprimant ce dual face au temps, allant d’une scène à une autre via des ellipses, des plans parallèles. Quelques visuels sur des journaux en cours de conception qui défilent à l’écran. Une bonne touche de légèreté, des passages assez comiques, venant revigorer le tout. La musique de John Williams, s’accordant plus à du film d’action plutôt qu’historique, à en être diablement entraînante (comme peut en témoigner le titre The Presses Roll, qui accompagne le vol des fameux documents). Certains instants du film sont tout de même critiquables, car dépendant un peu trop des bons sentiments tel que le dénouement qui se résume à des « hourra ! » et autres accolades, pouvant agacer. Mais nous ne pouvons reprocher à Pentagon Papers d’être énergique au possible et ce malgré son sujet. Et pour le coup très efficace, très plaisant à suivre, nous incitant à nous intéresser à son propos sans en louper une miette. Encore une fois, Steven Spielberg fait preuve de son talent et de son savoir-faire, qui suintent à chaque seconde de son long-métrage. Que ce soit lors d’une introduction prenante en plein Viêt-Nam ou encore pendant une réunion de journalistes devant à l’œuvre sur lesdits documents.


Et comme je le disais dans le premier paragraphe, tout comme Lincoln (les débats politiques) et Le Pont des Espions (le terrorisme et les préjugés), Pentagon Papers raconte l’Histoire pour parler d’aujourd’hui. Ici, Spielberg et ses scénaristes nous parlent de cette affaire du Viêt-Nam pour dénoncer le gouvernement de Donald Trump. Premièrement en critiquant certains de ces aspects forts discutables. Comme le mensonge que l’on préfère taire au grand public en lui offrant une image bien différente (le Viêt-Nam perdu d’avance s’apparente à la collusion entre la Russie et les membres de la campagne présidentielle). Comme ce désir de manipuler les médias, au point de plonger dans l’illégalité, pour faire taire certaines critiques et révélations (les plans peu flatteurs de Nixon faisant penser à Trump affrontant James Comey, ex-patron du FBI, et ses révélations publiques). Comme cette ambition de parvenir à ses fins, quitte à bafouer bien des libertés (notamment celle de la presse, reflétant celle des Droits de l’Homme qu’enfreint bien souvent le Président actuel). Les exemples sont plutôt nombreux, c’est pour dire ! Et enfin, Pentagon Papers dénonce également la politique pour le moins sexiste de Donald Trump, en se concentrant sur le parcours difficile de son personnage principal. Katharine Graham, une femme qui a dû s’imposer avec difficulté dans un milieu et une époque où les hommes régnaient en maître (c’est malheureusement encore le cas de nos jours dans certains domaines et pays). À montrer qu’elle était capable de gérer un journal sans l’aide de conseillers qui la méprisaient. À réussir à prendre des décisions par soi-même pour le bien de son entreprise, sans se soucier de ce que pouvaient penser les réfractaires. Bref, Pentagon Papers met en scène le chemin parcouru par cette femme forte alors qu’il n’était pas obligé de le faire, surtout que son sujet ne s’y prêtait pas. Mais en faisant cela, Steven Spielberg permet à son film de prendre une toute autre dimension. Une ampleur qui, comme tout bon réalisateur qui se respecte, lui permet de parler, de dénoncer, via l’image. Et c’est justement grâce à cela que le cinéaste affirme en avoir encore sous le capot du haut de ses 71 ans.


Thriller politique dynamique et critique, Pentagon Papers n’est pas ce qui aurait pu se présenter comme un simple passe-temps pour son géniteur (Spielberg l’a réalisé pendant la longue post-production de Ready Player One). Il s’agit bel et bien d’un grand film comme le bonhomme sait les faire. Un titre qui vient sans mal agrandir une filmographie ô combien riche et qui n’est pas encore prête de s’arrêter. Peut-être pas son projet le plus marquant (surtout quand trônent des chefs-d’œuvre tels que La Liste de Schindler ou encore Il faut sauver le soldat Ryan), mais sans aucun doute l’un des plus maîtrisés et passionnants.


Critique sur le site https://lecinedeseb.blogspot.com/2019/01/rattrapage-2018-pentagon-papers.html

Créée

le 1 févr. 2018

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