Du Vietnam à la Maison-Blanche The Post cristallise brillamment le verbe comme ce nerf de la guerre au nom de la vérité. Cette vérité c'est l'information, ce flux incessant que l'on capte et libère, un mouvement qui traverse le temps et donc ici les images. A ce titre le nouveau-né de Spielberg s'impose comme une réussite certaine, le cinéma étant le média tout indiqué de par son essence même pour faire vivre l'invisible mouvement caractéristique de l'information à délivrer. La cohérence n'en sera alors que plus magistrale, capter ce temps si précieux par le mouvement des images, autant de fluctuations et de tensions qui circuleront parmi ces esprits ces codes et règles d'une époque qui n'en finit plus.


The Post est alors un souffle imagé tel le nœud de Möbius, une boucle continue et infernale qui se meut inévitablement au fil des oppositions et conflits, des enjeux qui se tordent et émergent dans une ascension au sein de l'Histoire s'écrivant elle aussi sous nos yeux. Aux pouvoirs des institutions et de leurs dirigeants respectifs Spielberg répond alors par celui de l'art et quelle démonstration ! Ainsi ce long métrage se révèle-t-il être un véritable bijou de réalisation. Un enchaînement dynamiques de tableaux eux aussi dynamiques à l'iconisation globalement très maîtrisée. Le chaos du conflit d'origine succédé par l'éclatement de tout manichéisme pour la plus grande pertinence bien souvent. Dans cette opposition des esprits et des règles dans laquelle le cinéma rend visible ce qui était alors admis à l'image de la disposition d'une table, des bonnes mœurs ou d'une simple prise de parole, notre réalisateur nous livre une nouvelle guerre des mondes. Si l'information reste le fil conducteur et révélateur de bien des maux, le film fait la part belle aux combats menés avec un recul aussi fondamental que bienvenu.


Nous sommes ainsi face à un film qui déborde d'énergie, ce mouvement incessant de l'information circulant dans ces regards qui se croisent offre alors un élan peu à peu libérateur, une quête salvatrice pour ce rendez-vous avec la démocratie. En vivifiant ce qui risquait d'être statique dans ces réflexions et débats, Spielberg bénéficie grandement de la partition plus que brillante de John Williams une fois n'est pas coutume. Au même titre que le montage et cette caméra captant ces passions et intérêts dans une merveille de culture de la confrontation, les notes de Williams véhiculent cette tension minutieuse et sans compromis. Une menace omnipotente qui s'accentue et paradoxalement terreau d'un émerveillement de l'objectif à atteindre sans garantie qu'il soit bon ni qu'il soit atteignable par ailleurs. Il y a de la vie, de l'interaction et surtout une magie dans ce réalisme qui nous est montré. Si le combat à mener peut l'expliquer, le casting dans son entièreté n'y est pas étranger non plus.


Tom Hanks possédé par le talent porte le film dans son ambition charismatique tel un agitateur de foule quand la liberté menace de s'écrouler par la loi également écrite. Brisée puis isolée par l'héritage d'un mari comme celui de toute une famille, le personnage de Kay interprété par une Meryl Streep aussi forte que sensible personnalise un autre combat, celui contre des lois invisibles et admises de tous ou presque, un autre rendez-vous avec l'Histoire de fait. Cette dynamique nous emporte mais sait rester mesurée, les intérêts des dirigeants ne masquent pas ceux d'une presse carnassière aux idéaux glorieux mais aux intentions parfois irréfléchies ou inversement très calculatrices. C'est en ce sens que Kay revêt dans sa solitude apparente un rôle essentiel, elle n'est que doute, en constante évolution sans aucune certitude excepté la force de ses principes. Elle porte un poids inhumain que l'amour de Spielberg pour ses personnages transcendera à l'écran comme bien souvent. En multipliant les plans absolument sublimes de détails et de grandeur jusqu'à la toute fin (l'impression des journaux magnifiant ce flux d'informations en continu à la verticale tel les piliers courbés mais toujours debout de nos valeurs fondatrices), The Post en impose sans être irréprochable toutefois.


Dans des registres différents Spielberg accouche de films d'époques et The Post n'y échappe pas. Mais le fait est que la manière laisse parfois à désirer aussi noble la cause soit-elle. Le propos égalitaire et d'émancipation en particulier donne à voir des scènes à la limite du ridicule (la descente des marches m'a littéralement fait bondir) or il est impossible de faire le deuil de la subtilité quand le film prend tant de recul et de mesure à côté. C'est là le malheureux (?) paradoxe du film, mettre en image avec brio ce mouvement oscillant en continu qu'est l’information pour se heurter à une actualisation du film figée et parfois grossière, ou quand le mouvement côtoie bêtement l'immobilité d'un message bien maladroitement livré. C'est ce qui prive Spielberg d'un grand film, vouloir réactualiser quelque chose de suffisamment fort et parlant à l'origine, s'obstiner presque artificiellement à s'ancrer dans son temps. The Post dans sa maîtrise quasi absolue se punit tout seul au détour de quelques rares moments incompréhensibles artistiquement à mon sens, regrettable mais pas si dommageable malgré tout.


En définitive c'est une énième leçon de réalisation de la part de Spielberg qui est délivrée au spectateur, un film au discours aussi admirable que nécessaire ne pouvant malgré tout s’empêcher de grossir et cabotiner au même titre que les médias qu'il nous dévoile. Si le cinéma comme la presse restent plus que jamais deux systèmes de production aussi influents que faillibles, l'art comme ultime et authentique voie vers des vérités redonne ici non sans raison et nostalgie ses lettres de noblesse à l'une des plus belles vocations au monde. Face au désenchantement actuel Spielberg répond une nouvelle fois par la magie, celle des idéaux. Une réponse plus ou moins subtile qui aura surtout le grand mérite de donner au beau le dernier mot .

Chaosmos

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