APRÈS SÉANCE


2018 est une année doublement importante pour Spielberg. Avant de présenter Ready player One, cette ode à la nostalgie 80’s, cette gigantesque madeleine de Proust de la taille d’un Destroyer Stellaire sillonnant l’espace cinématographique, the King of Entertainment dévoile Pentagon Papers (The Post, en VO), nommé à l’Oscar du meilleur film.


Nous suivons dans ce film la rédaction du Washington Post, et plus particulièrement sa présidente Katharine Graham (Meryl Streep) et son rédac’ chef Benjamin Bradley (Tom Hanks), durant le scandale des Pentagon Papers intervenu en 1971. Embourbés depuis quasiment 20 ans dans la guerre du Viêt-Nam, les présidents successifs américains ont choisi d’intensifier l’engagement militaire des Etats-Unis sur place, malgré une étude du département de la Défense concluant sur la stérilité du combat. Daniel Ellsberg, analyste à la RAND (conseiller de l’armée) et considéré comme le premier lanceur d’alertes, décide alors de fournir au New York Times, puis au Washington Post, ladite étude.


SUR LE FOND : 6 étoiles


L’action du film se déroule essentiellement dans le Washington des années 70, dans le milieu privilégié de la presse ou dans le « système médiatico-politique » pour reprendre une expression sur-utilisée de nos jours. Et c’est d’ailleurs ce qui est frappant dans Pentagon Papers, c’est une histoire terriblement d’actualité. En pleine présidence Trump aux USA, avec les rapports politiques/journalistes qui se détériorent, les fake-news etc., cette histoire passée dresse le portrait de notre société actuel.


Malheureusement (personnellement), le film s’attache davantage aux personnages et à leurs « petites » histoires personnelles plutôt qu’à l’Histoire avec un grand H. Le fond du scandale (c’est-à-dire la gestion de la guerre du Viêt-Nam) n’est pas (ou très peu) abordé dans le film. On s’intéresse davantage aux personnages de Katharine et de Benjamin ainsi qu’à leurs quêtes personnelles, que ce soit le fait de prouver sa valeur, ses capacités, sa place. Alors, pourquoi pas mais en conséquence, le scandale des Pentagon Papers paraît du coup beaucoup moins monumental qu’il pourrait l’être. Étant donné qu’on ne dépasse pas les microdécisions, il est plus difficile de se rendre compte de l’impact de celles-ci d’un point de vue macro. A contrario, centrer le récit autant sur les personnages permet de développer d’autres thématiques, elles aussi terriblement d’actualité, comme les inégalités hommes-femmes et le machisme ambiant dans la sphère professionnelle. Là encore, le film censé se passer en 1971, dresse le tableau de notre société actuel. Je ne sais pas comment s’est concrétisé le projet, mais cela semble être presque un film en réponse, en réaction au contexte à la fois politique et sociétal actuel (#metoo et autres).



Une presse au service des gouvernés, pas des gouvernants.



Parlons alors des personnages, et notamment des deux principaux, Graham et Bradley, tous deux magnifiquement interprétés. Graham est l’archétype de la femme parachutée par erreur dans un monde entièrement masculin, ici la tête d’un journal. Elle est considérée comme la « fille de », puis la « femme de », et enfin comme la « veuve de », jamais reconnue pour son travail ou son courage. Meryl Streep réussi à bien faire ressentir cela en jouant un personnage un peu lunaire, perdue, presque humoristique par moment. A l’inverse, Bradley (Tom Hanks) s’impose, est bourru et animé par l’esprit du premier amendement. Mais il est également blessé par ses amitiés/connivences passées avec le couple Kennedy, ce qui le rend plus profond. Le reste de la rédaction est évidement moins développé, mis à part le personnage de Ben Bagdikian (Bob Odenkirk). Cela fait plaisir de voir également David Cross (dans le rôle de Howard Simons) dans un registre différent de d’habitude.


Les personnages du New York Times sont survolés et je trouve que les liens entre leur rédacteur James Greenfield (Christopher Innvar) et l’entourage de Katharine sont mal exposés. Ce qui peut expliquer entre autres que le Times (IRL) l’ait un peu mauvaise suite à ce film étant donné qu’ils aient été les premiers sur le scoop et que ce soit leur injonction qui ait laissé un boulevard au Washington Post. L’histoire se penche volontairement sur le Post compte tenu qu’il était présidé par une femme, fait inédit à cette époque et servant ainsi à développer des thématiques « féministes ».


SUR LA FORME : 6,5 étoiles


Comme s’il y avait besoin de le répéter : Spielberg sait réaliser. Bon, ce n’est pas du Villeneuve hein (ouuuuh), mais c’est assez impressionnant comment la plupart des éléments de l’intrigue sont indiqués par la caméra (les cadrages, les déplacements etc.) et non par les acteurs. La caméra pointe toujours vers ce que le spectateur doit regarder afin de capter l’information essentielle de la scène. De la même manière, tous les rapports entre les personnages sont décrits par leur placement dans le plan. Pas besoin de plus. C’est assez frappant dans la scène où Meryl Streep doit prendre l’ultime décision, assise entourée de 5, 6 hommes courbés vers elle, l’écrasant presque. Seul Tom Hanks en retrait, debout à quelques mètres, lui laisse son espace de décision, respectant son courage, sa place.



Son père a préféré léguer le journal à Phil plutôt qu'à sa fille
Katharine, cela en dit long sur la personne.



Non, ça en dit long sur l'époque.



Globalement, les images sont sombres, avec des couleurs plutôt froides (sublimées par le Spielberg de la musique, John Williams). Ajouté à cela la fumée quasi-perpétuelle due aux très nombreuses cigarettes fumées par les différents personnages, cela fait une ambiance brumeuse rappelant presque l’univers science-fiction de Spielberg. Le séjour de Benjamin Bradley transformé en aquarium pourrait presque être une forêt abritant le vaisseau d’E.T.


De façon tout à fait personnelle, j'ai adoré les plans sur les rotatives imprimant les journaux, qui sont tellement satisfaisants un peu comme ces vidéos de choses bien rangées ou d’organisation parfaite. D’ailleurs, j’ai adoré la scène où Ben Bagdikian (Bob Odenkirk) sourit en voyant son bureau trembler à la mise en route de ces rotatives. Elle montre évidement la satisfaction de ce personnage d’avoir rempli sa fonction de journaliste mais ce tremblement représente surtout l’onde de choc que produira les révélations. Encore une fois, rien n’est dit. Tout passe par la caméra fixant la lampe de bureau tremblante sous la force du scandale en train d’être révélé.


Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON


NOTE TOTALE : 6 étoiles

Créée

le 15 févr. 2018

Critique lue 348 fois

Spockyface

Écrit par

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