Pickpocket s'ouvre sur le texte suivant : « Ce film n'est pas du style policier. L'auteur s'efforce d'exprimer par des images et des sons le cauchemar d'un jeune homme poussé par sa faiblesse dans une aventure de vol à la tire pour laquelle il n'était pas fait. Seulement cette aventure par des chemins étranges réunira deux âmes qui sans elle, ne se seraient jamais connues ». Puis une page manuscrite apparait, une page du journal de Michel. Comme dans Journal d'un curé de campagne ou Un condamné à mort s'est échappé, Robert Bresson divise son film en petites scènes de la vie quotidienne, séparées par une voix off, ici la voix de Michel. « Le sujet n'est que prétexte » disait Bresson avant de tourner son film, « je prends du réel, des morceaux de réel, qu'ensuite je mets ensemble dans un certain ordre ».

Le réalisateur tourne avec des acteurs non professionnels depuis 1944, et cela ce ressent à l'écran, Louis Malle disait d'ailleurs que les acteurs ne jouent pas, mais que c'est Bresson qui joue avec eux. Martin Lassalle, Michel dans le film, explique dans un entretien filmé en 2003: « Je montais les escaliers 40 fois. Il n'expliquait pas pourquoi on refaisait la scène. Pour affaiblir l'ego du modèle ? Il voulait provoquer une tension intérieure qui se reflétait dans les yeux, les mains. J'avais la sensation de jouer avec le danger, quelque chose d'érotique ». Bresson amène son acteur à l'épuisement et donc à un jeu qui s'appuie sur les reflexes, il cherchait à filmer un jeu « nature » et non « naturel ».

Si le jeu des acteurs est loin d'être le même que dans de nombreux films de la même période, la façon dont Robert Bresson les filme est elle aussi différente. Il ne filme que ce qu'il a envie de filmer, et ses plans sont la plupart du temps très serrés, il va à l'essentiel. Le travail sonore est là aussi très important, Bresson dissocie la voix des personnages de leur visage. Dans la première séquence au champ de course, Michel ne parle pas de face, sa voix est hors champ pendant une dizaine de minutes. La course de chevaux tient une place primordiale dans cette scène, mais à aucun moment elle est visible par le spectateur. Le regard d'un personnage sur l'action devient plus important que l'action elle-même.

Parmi les séquences marquantes du film, celle de la gare de Lyon est peut être une des plus belles, du moins la plus maîtrisée par Bresson. Il filme Michel et ses complices voler comme des artistes dans un véritable ballet, dans lequel la moindre erreur serait fatale. Cette tension palpable se retrouve non seulement dans cette scène, mais aussi dans toutes les scènes de vol. Dès lors que Michel se fait arrêter une première fois au début du film, l'issu de tous ses vols ne laissent que peu de doutes. Le réalisateur Jean-Claude Brisseau voyait en Bresson une similitude avec Hitchcock, selon lui, les deux ont une vision « paranoïaque » du monde : l'homme est guetté par la faute, et le moindre écart de sa part et cette faute lui tombe dessus comme un couperet.

Dans Pickpocket, les personnages ne sont pas influencés par ceux qui les entourent mais par les gestes qu'ils font. Bresson l'avoue et cite Montaigne, « Nos gestes nous découvrent ». Pickpocket est quelque part un film sur la rédemption. Louis Malle voit en ce film le conflit d'une âme aux prises avec la grâce divine, il déclara dans la revue Arts, à la sortie du film : « Le film donne l'image de la toute-puissance de Dieu, non seulement dans son contenu, mais aussi dans son expression. Comme dans les grandes œuvres des artistes croyants, la forme s'identifie au fond, autrement dit, l'artiste se substitue un instant à Dieu. Pendant le temps de la projection, Robert Bresson est Dieu ».
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le 3 mai 2012

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