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Fraîchement sorti sur Netflix, le dernier film de Kornel Mundruczo, Pieces of a Woman, est une œuvre tenace et bouleversante sur le deuil et la reconstruction d’une femme, incarnée par l’impressionnante Vanessa Kirby.


Inévitablement, dans ses 25 premières minutes, Pieces of a Woman rappelle un film sorti récemment : Madre de Rodrigo Sorogoyen. Deux films, qui dans leur premier tiers, voient le récit basculer dans un drame implacable qui laisse le spectateur impuissant et lessivé par l’immersion du plan séquence dans laquelle nous sommes plongés voire totalement impliqués. Un drame nous emmenant dans les tréfonds de la perte, de la meurtrissure de la chair et de l’abandon. Un magma d’émotions qui s’évanouira dans les ténèbres, pour finalement ressurgir dans une fin rédemptrice et signe d’espoir.


Mais dans la suite de son récit, plus mesurée et fantomatique, le cinéaste va analyser et/ou tenter de dessiner la reconstruction d’une femme et de son entourage. Pieces of a Woman est à l’image de son personnage principal, dans une sorte de zone grise, silencieux, froid et nébuleux dans sa manière de bâtir son scénario, où il est difficile d’extirper une émotion première, préférant disséminer une symbolique liée à la naissance qui accompagne Martha tout au long de l’histoire. C’est un chemin de croix assez dense, complexe, qui se construit devant nos yeux.


Martha doit faire face à l’après, où comment surmonter le deuil, le tiraillement de la tristesse et le poids de la société quand cette dernière se veut anxiogène : entre un mari meurtri et imbibé par la détresse, un couple volant donc en éclat, un enterrement non souhaité, une mère bourgeoise inquiète, faible et honteuse de la situation, une sœur culpabilisatrice, des collègues au regard lourd et à l’empathie embarrassante, un procès civil contre la sage femme de l’accouchement mais n’étant qu’un simple écran de fumée en rien réparateur pour Martha. Beaucoup d’agitations, de heurts et d’incompréhensions à la dureté infinie (« si tu avais fait les choses à ma façon, tu porterais ton enfant dans les bras »). Parfois, le cinéma de Mundruczo semble vouloir à tout prix sortir le grand jeu, et filmer à chaque fois « La » grande scène, mais bizarrement, arrive souvent à trouver le ton juste grâce au scénario de Kata Weber.


On pourrait alors s’attendre à ce que le film puisse se perdre dans les ramifications de toutes ses pièces, qu’il veuille mettre sur le tapis toutes ses cartes d’entrée de jeu mais le puzzle arrive tout de même à prendre vie avec une fluidité soutenue et surtout tout en retenue. Car derrière la sophistication du cadre et le tour de force esthétique qu’est le film, derrière l’application de Kornel Mundruczo à choyer sa direction artistique, aimant une nouvelle fois s’amuser et surligner ses thématiques par la métaphore, le film prend malgré tout souvent le pouls de Martha, notamment grâce à la performance tout en nuance de la fascinante Vanessa Kirby.


Un ton silencieux, hagard, distrait par les petits gestes du quotidien qui pourrait lui faire repenser à un quotidien qui n’est finalement pas le sien (la figure de l’enfance). Pieces of a Woman laisse la jeune femme aller à son rythme, se dénaturer, sans jamais réellement expliciter ce qui se trame dans la tête de cette femme, qui semble se contrôler pour ne pas dégoupiller. Et c’est la grande force du film : donner à Martha la possibilité de vivre son deuil seule face au reste du monde, sans donner d’explications ni de justifications à sa famille ni au spectateur. A de nombreuses reprises, Sean expliquera à Martha qu’il aimerait « lire dans ses pensées », essayant alors de décrypter les sentiments de cette femme qui se referme sur elle-même ou qui n’arrive tout simplement pas à recoller les morceaux d’une vie brisée. Mais ces mots-là, ceux de Martha et de sa « renaissance », Pieces of a Woman mettra du temps à les trouver et à les dévoiler, mais le fera avec une dignité bouleversante dans une scène de procès tout sauf inquisitrice et une justesse qui n’appartient qu’à son seul personnage. Finalement libre et enfin connectée avec elle-même.


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Velvetman
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le 10 janv. 2021

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