Le réalisateur Michel Leclerc, à travers l'histoire de sa mère (née Coen), livre ici un émouvant témoignage de l'expérience inédite de la maison d'enfants de Sèvres. Fondée par deux époux instituteurs licenciés de l'Education Nationale pour avoir affirmé leur pacifisme en temps de guerre, le rôle de cette maison évoluera avec les années. D'abord destinée à recueillir les orphelins de guerre, sous le patronage du gouvernement de Pétain ("le secours national"), elle servira rapidement à cacher un nombre importants d'enfants juifs traqués pendant l'occupation (quelques adultes aussi, dont le patronyme révélateur sera dissimulé derrière un nom d'animaux, les fondateurs donnant l'exemple en se faisant appeler Pingouin et Goëland) puis la guerre achevée deviendra un lieu d'éducation pour les enfants en échec scolaire, issus de milieu défavorisé.


La maison de Sèvre se distingue par la méthode d'éducation mise en œuvre, s'inspirant de celle du pédagogue Ovide Decroly : l'enfant y est traité comme un individu à part entière et se trouve mis au centre, sa curiosité est sans cesse suscitée et il est encouragé à développer les matières qu'il aime faire. A cela s'ajoute la doctrine "faire table rase du passé, repartir à neuf" : le devoir de mémoire est ici sacrifié par le droit à l'oubli.


Il en résulte quelques contradictions cocasses : lieu de résistance secret cachant des enfants juifs, la maison de Sèvres pour ses méthodes modernes et innovantes devient une vitrine du régime de Vichy en terme d'éducation (ce qui vaudra au couple Pingouin et Goéland d'être accusé de collaboration à la fin des années 40). Lors d'un article dithyrambique, un journal antisémite citera en exemple une enseignante, répondant au pseudonyme de cigale, et qui s'avère être secrètement juive.


A rebours de ce qui est pratiqué aujourd'hui (les écoles d'enseignement de type Montessori sont réservées aux enfants des classes sociales aisées tant le coût d'inscription est prohibitif), les méthodes d'éducation nouvelle de la maison de Sèvres - comme celles de Freinet - s'adressaient aux enfants des couches populaires les plus défavorisées avec pour objectif de leur donner confiance en leurs capacités et de les faire se considérer comme des citoyens à part entière de la République.


Ce documentaire, bien monté, judicieusement illustré, est émouvant, instructif et parfois drôle, de par la qualité de son travail d'archive et par les témoignages des anciennes élèves de la maison de Sèvres, aujourd'hui très âgées, qui leur vie durant on conservé des liens avec ce qu'elles considérèrent toujours comme leur maison. La sincérité du réalisateur est d'autant plus forte qu'il connait certaines d'entre elles depuis sa naissance, par sa mère qui fut recueillit par Pingouin et Goéland après que ses parents furent emprisonnés à Drancy (puis déportés et assassiné à Auschwitz).


Une œuvre de mémoire réconfortante et qui fait réfléchir sur la manière d'éduquer les jeunes âmes.

Floridjan
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le 9 nov. 2021

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