Un bateau débarque à Pago Pago (Samoa américaines) avec des civils qui, dans l’ensemble, affichent leur déception de trouver une météo particulièrement humide. Ils imaginaient trouver sous les tropiques une atmosphère de vacances éternelles, avec ciel bleu, plage de rêve, cocotiers et locaux accueillants. Sur place, les premières images nous présentent des militaires dans une marche sous un déluge ininterrompu rendant le terrain boueux et spongieux. Et même s’ils se donnent du courage en chantant, on sent qu’ils avancent péniblement. A priori, ce sont des soldats américains d’occupation qui surveillent une population paisible, apparemment heureuse de peu.
Parmi les civils qui débarquent, on remarque les Davidson, un couple d’américains d’âge mûr. Elle (Beulah Bondi) est une vieille bigote qui croit légitime de faire régner ses idées et lui (Walter Huston) un prédicateur aux convictions bien arrêtées et au discours inflexible, quasi halluciné. Ils apprennent rapidement qu’ils vont devoir séjourner sur place pendant un certain temps, car sur le bateau qui devait ensuite les emmener sur l’île d’Apia, un cas suspect s’est déclaré : probablement le choléra. Du coup, une quarantaine est déclarée et les passagers en attente vont séjourner chez l’épicier du coin. Or, parmi ces passagers, se trouve une jeune femme, Sadie Thompson (Joan Crawford), de mœurs assez libres et au physique qui ne passe pas inaperçu qui occupe la pièce voisine des Davidson.
Le premier soir, Sadie reçoit quelques marins dont le sergent O’Hara (William Gargan) qu’elle surnomme « Handsome » (Beau gosse dans les sous-titres) avec qui elle se sent à l’aise, suffisamment pour prendre au sérieux sa proposition d’émigrer jusqu’en Australie pour y refaire sa vie. O’Hara y est attendu par une femme avec qui il compte monter une affaire honnête et prometteuse. La proposition de O’Hara intéresse Sadie car elle apprend que le gouverneur refuse qu’elle embarque avec le reste de la troupe quand la quarantaine sera levée. Elle devra retourner à Honolulu où elle sait devoir comparaître devant un tribunal où elle devrait écoper de deux ans de prison. Elle ne le dira jamais ouvertement, mais on sent qu’elle tente de fuir un passé de prostituée.
Il faut dire que, le premier soir, Sadie ne s’est pas méfiée, en mettant de la musique dans sa chambre pour mettre de l’ambiance avec ses invités, gênant le couple Davidson. Leur première confrontation a été quelque peu électrique. Et Alfred Davidson trouve en elle une sorte de défi à sa mesure : la convaincre de ses errements moraux et la ramener dans le droit chemin. Avec le confinement, la tension va monter et Davidson use de toute sa force de persuasion (une locale affirme en le regardant qu’il a un véritable pouvoir sur les autres) pour convaincre Sadie de faire amende honorable et d’assumer ses erreurs.
Dans ce film qui date de 1932 (noir et blanc, format 4/3), on sent que le muet est encore bien dans les têtes et sans doute aussi les moyens. Avec la musique signée Alfred Newman, l’atmosphère pluvieuse fait partie des éléments fondamentaux mis en place par Lewis Milestone, le futur réalisateur de L’emprise du crime ainsi que A l’ouest, rien de nouveau et Les révoltés du Bounty. Cela contribue à justifier tous les plans en intérieurs. Ceux-ci sont dominés par les présences de Joan Crawford et Walter Huston. Le sommet du film intervient lors de leur deuxième confrontation en tête-à-tête (qui arrive comme un cheveu sur la soupe, comme si le montage parait à un plan non filmé ou inutilisable). Ceci dit, la nouvelle attitude de Sadie suite à cet épisode ne convainc pas vraiment, pas plus d’ailleurs que le geste final de Davidson (le film datant de 1932, des points fondamentaux ne font l’objet que d’allusions trop peu explicites). Le film vaut néanmoins pour la confrontation entre la jeune Joan Crawford et Walter Huston, le père du cinéaste John Huston. Lui est crédible en prédicateur inflexible, souligné par sa raideur. Elle apparaît comme une jeune femme de caractère, aux allures de garçon manqué par moments, qui dégage néanmoins une indéniable séduction en jouant les femmes fatales. Ceci dit, l’affiche (d’époque) ne la met pas tellement en valeur, comme si son potentiel restait vague. Il est vrai qu’on est encore loin de la Joan Crawford de Johnny Guitar (Nicholas Ray - 1954), mais les deux films sont séparés par plus de vingt ans. Avec la maturité, Joan Crawford acquit un autre charme. Quant à la mise en scène, elle joue surtout sur des intérieurs probablement filmés en studio. L’histoire a quand même retenu suffisamment l’intérêt, puisqu’il s’agit ici de la seconde adaptation d’une nouvelle (Miss Thompson) de William Somerset Maugham.