Les mots ne peuvent que manquer pour parler de Polisse, je ne vois pas comment en faire la critique sans en faire l'éloge, le plus simplement possible.
Polisse, c'est un eugénisme, un mot qui n'existe pas, comme les mots qu'il faudrait trouver pour dire l'indescriptible. Un jeu de mot néanmoins, pour parler de la police qui s'occupe de corriger les crimes commis sur les enfants. C'est aussi une faute d'orthographe enfantine.
Le film nous fait complètement basculer dans la brigade de protection des mineurs de Paris, au cœur des mœurs les plus sordides : incestes, viols, maltraitances, kidnapping ou abandons, avortements, aberrations et bêtises humaines ou maladies mentales. Le tour d'horizon morbide et infâme dans lequel nous trimbale Maïwen n'omet aucuns vices, aucunes peines.
C'est pourtant dans ce chaos frontal que le film nous fait comprendre, avant tout, la part d'humanité qui s'y colle fatalement pour y faire face. La part d'humanité forte et tenace qui transpire par tous les pores des policiers de cette unité extraordinaire. La part d'humanité fragile mais courageuse de ces hommes et ces femmes remarquables. La part d'humanité totalement imparfaite de tous les protagonistes qui font leur métier le plus parfaitement possible et imaginable.
La part d'humanité brisée qui reste aussi après les crimes et les blessures.
Les chocs émotionnels que procurent ce « film » sont puissants. On tremble, on pleur, on rit, on chiale, on sanglote ou on serre les dents, en regardant ahuri ces vérités enfouis, ces vérités humaines et terriblement injustes, pourtant filmées avec grande justesse.
Le talent de Maïwen de nous dévoiler l'intime avec beaucoup d’honnêteté, décortiquant les hontes et les honneurs d'être humain. « On s'en fou de savoir si t'aime la sodomie ou pas, on veux la vérité ». Et si la vérité peut être honteusement ignoble et perverse, la honte peut aussi être drôle et décomplexée : « Et pour un ordinateur tu fais quoi ? », « J'ai perdu mon téléphone portable !»
Maïwen choisie là un thème à la fois grave et malsain pour nous parler d'une valeur essentiellement humaine : l'avenir. Car c'est de l'avenir qu'il est forcement question quand on aborde le sujet de l'enfance. Et toutes les affaires auxquelles nous faisons face pendant 2h retentissent avec cette concordance désarmante typiquement contemporaine, c'est bien de notre époque, de l'enfance d'aujourd'hui, de l'avenir de demain dont il est question. Tout est passé au crible : la jeunesse perdue qui s'adonne à une sexualité dénuée de sens, exubérante et sans fond, voir vendue et volée ; les mariages forcées dont sont victime certaines française d'origines étrangères ; ou encore les couples défaits, abîmés, brisés, décomposés, tout au long de l'histoire. Pour regarder l'avenir il faut voir le présent en face.
Mais chacun de ces policiers exceptionnels, incarnés à la perfection par des acteurs impeccables, d'une densité bouleversante, et si « vrai » que parler ici de crédibilité et d'euphémisme serait absolument grotesque ; s'affaire à cette mission clé de sauvegarder l'avenir incarné par l'enfance, qui plus est l'enfance bafouée et volée ; cela tant bien que mal, tout les honneurs leur étant dû, si inexistant soit il.
Maïwen maîtrise ici un casting imposant, où l'on jurerai de rôles de compositions à mesure que le film avance et nous happe dans les méandres de chacune des personnalités, profondes et écorchées, des policiers et de leur intimité.
Jusqu'aux seconds rôles, pas une seule fausse note (On retrouve Lou Doillon, Audrey Lamy ou Sophie Cattani, qui avait jouée un rôle similaire dans « je suis heureux que ma mère soit vivante » : une concordance parfaite)
Maïwen maîtrise aussi le style. La méthode fait échos à son premier film (« pardonnez-moi » partageait déjà certaines thématique) et s'inscrit de la même manière dans le docu-fiction, à ceci prêt que cette fois, elle prend un poil plus de recul en interprétant la photojournaliste, pour nous donner en tant que réalisatrice des montages propres, et alambiqués juste ce qu'il faut ; et des plans soignés et éphémères lorsqu'il s'agit de saisir les émotions.
Je n'avais personnellement pas pris une telle baffe depuis « Dogville » de Lars Von Trier. Dans un autre registre certes, mais quelle satisfaction que de se voir saisis par tant de vérités et d'honnêteté, saisis par tant d'émotions justes et tangibles, par tant de force émanant d'une simple pellicule. Quel plaisir que de voir que le cinéma peut encore avoir autant de puissance par son message, ses intentions, son discours et son encrage profondément humain.