Synopsis: L'heureuse famille Freeling mène une vie tranquille et prospère dans la petite ville de Cuesta Verde. Cependant, leur maison devient le théâtre d'étranges phénomènes quand des objets commencent à se déplacer et que le sol se met à trembler. Une nuit, la petite Carol Anne disparaît et se met à communiquer avec ses parents à travers la télévision. Les Freeling font alors appel à un parapsychologue.
Ce métrage est une bénédiction mêlant avec bonheur fantastique, horreur, suspens et "peinture" sociale.
41 ans, c'est l'âge du film de Tobe HOOPER et aussi de Steven SPIELBERG. La touche de l'auteur de E.T. est telle (les scènes familiales) qu'on ne sait pas très bien où se trouve l'influence de Hooper... dans les scènes les plus horrifiques ? peut-être...
Le film a toute sa splendeur 80's avec ses couleurs pimpantes et son joli grain cinéma, des effets spéciaux très réussis dans les séquences dans la chambre des enfants et lorsque la mère "monte au plafond". Bien sûr certains sont marqués visuellement comme l'arbre "en plastique" ou les matte paintings des plans larges sur la bourgade et son cimetière et pourtant grâce à la qualité de la narration, du jeu des acteurs, cela ne gêne guère.
La partition de Jerry Goldsmith est fabuleuse, elle ajoute au film son âme (douceur, romantisme et effroi) et c'est un contre point intéressant avec l'hymne américain. Dès les première notes on entre de plein pied dans cette bourgade faussement idéale.
Le métrage affirme aussi une remarquable fluidité dans son déroulement, avec une exposition progressive et souvent maligne, une mise en place qui souligne l'appartenance sociale de cette famille qui a tout pour elle . Les repas et discussions entre les enfants sont impressionnants de naturel, on y retrouve cette harmonie spielbergienne évidente, même si pour une fois on n'a pas de schéma dysfonctionnel. D'où le choix crucial pour incarner Carol Ann... et la petite Heather O'Rourke est absolument parfaite en poupée lumineuse, au sourire radieux et d'une docilité sans faille. On s'amuse ensuite de voir les innombrables références à Star Wars avec les jouets de Robbie, sa parure de lit ou son blouson Chewbacca et un clin d'oeil à Alien (avec l'affiche) que des enfants de cet âge n'auraient pu voir au cinoche.
Ne restait plus qu'à placer le tout dans la charmante et imaginaire Cuesta Verde, ses maisons individuelles jumelles, ses jardinets, ses gamins insouciants, ses papas revenant du boulot.
Une fois ce mignon paysage établi, Tobe Hooper va s'évertuer à le lézarder, le fissurer jusqu'à ce que ses habitants en viennent d'eux-mêmes à le questionner et qu'il finisse par s'anéantir. De l'intérieur. Un paradis social dissimulant son propre Serpent, taisant le mal originel qu'il a préféré enfouir plutôt que le combattre. Malgré un montage un peu dissonnant, il procède patiemment, par petites touches pleines de malice et parvient à se sortir sans trop de lourdeur du piège habituel des discours trop didactiques lorsqu'il devient nécessaire d'exposer le problème (les scénaristes ont d'ailleurs choisi le dialogue de femme à femme pour ce faire, d'abord entre Diane - la mère - et le Dr Lesh, puis avec l'inénarrable Tangina Barrons). On ne peut que sourire lorsque Diane fait la démonstration des premiers phénomènes surnaturels (dans la cuisine) à son mari un peu interloqué, puis lorsque le couple se décide à aller demander aux voisins (un peu lourdauds) s'ils ont été témoins des mêmes manifestations. Mais surtout le tendre sadisme avec lequel les parapsychologues sont traités : eux qui se vantaient d'avoir réussi à filmer sur sept heures le déplacement d'un objet vont en prendre plein les yeux, au point que leurs convictions vont parfois faillir.
L'ensemble bénéficie d'une pertinence et d'une harmonie étonnantes, avec une position très paradoxale : le film a certes été d'abord interdit aux moins de 16 ans, il jouit d'un emballage très "familial" mais propose des moments stupéfiants, à la limite de la perversité (la Bête qui tient à conserver Carol Ann sur le plan astral, puis qui s'en prend à la mère). Et ce doit être le film qui a définitivement enterré le clown comme cadeau pour les gosses !
Il est tout aussi surprenant de voir la manière dont l'épouvante est traitée : quasiment pas de jump scares mais l'irruption du surnaturel se fait la plupart du temps dans un silence assourdissant, avec une intelligence dans la mise en scène qui rappelle le travail de Friedkin sur l'Exorciste (on s'amuse d'ailleurs de voir régulièrement le plan de coupe sur la maison dans la nuit, en légère contre-plongée, attendant la venue d'un sauveur). En revanche, on pourra avoir plus de mal avec la propension de tous les personnages à hurler à la fin, quand bien même les bruits environnants étaient intenses.
Poltergeist pointe du doigt aussi bien le capitalisme (l’entrepreneur peu scrupuleux) que l’individualisme (le duel de télécommandes entre voisins), le conformisme de tout un pan de la société que les dérives de l’American way of life… Certes, dans la chambre d’enfants, la surabondance de jouets et autres produits dérivés de La guerre des étoiles rappellent bien le succès du copain Lucas. Mais ils participent aussi à une critique assez vive de la société de consommation. De même, la multiplication des télés allumées et le basculement de la petite Carol Ann (Heather O’Rourke) par delà l’écran dit tout des effets pervers du média. Et la même année sort Videodrome de Cronenberg.
Ainsi en 1982, (avec E.T.) Poltergeist investit la zone pavillonnaire moderne et la met très en avant. Hooper et Spielberg font d’elle la façade hypocrite d’une société pourrissante où les corps décomposés qui refont surface en sont la parfaite métaphore. Le film semble même se trouver à un point de rencontre entre deux tendances : l’intérêt de plus en plus grand du cinéma américain pour la banlieue résidentielle bourgeoise d’une part, la reprise d’une critique de la société de consommation par le cinéma de genre d’autre part. C’est pourquoi, à partir de Reagan et de son « America is back », il est assez tentant de faire de Poltergeist à la fois un marqueur nouveau et, d’une certaine manière, un modèle qui signale l’avènement du cauchemar pavillonnaire.