Le Bon (à rien), l'Artiste et le Truand

Une incroyable petite perle de René Clair, que l'on ne présente plus, adaptant un oeuvre de René Fallet, qu'il n'est pas plus besoin de présenter.


Porte des Lilas, Juju, un ivrogne rejeté par la société, et l'Artiste, un guitariste craintif mais au grand coeur, mènent une vie de patachon. Jusqu'ici, on pourrait comparer cette histoire à une autre histoire de René Fallet, La Soupe aux choux. Sauf que l'extra-terrestre qui va perturber cette vie monotone et dépourvue de signification, ce sera plutôt un bandit recherché par toutes les polices de France. Altruistes jusqu'au bout, les deux compagnons décident de le cacher le temps qu'il guérisse de ses blessures et de lui fournir un passeport. Cela est sans compter sur la curiosité de la jeune fille de l'aubergiste, Maria, qui bientôt devine leur secret et s'éprend du bandit.


La banalité d'un fait divers qui, passé à la loupe, défie balzaciennement les fiches d'état civil. L'officiellement raté devient un grand gamin trop naïf et trop gentil, le truand n'est qu'un homme que la presse magnifie, la jeune femme est bien complexe et l'Artiste n'a pas besoin de nom.


La force de Porte des Lilas, c'est avant ses perles de mise en scène et de jeu de dévoilement, de plan-séquences, d'analogies.
C'est cette scène initiale où Brasseur ne bouge que sur les inflexions de la musique pour faire apparaître, les uns après les autres, les autres personnages centraux de l'intrigue, comme s'il servait de cadre à la caméra. C'est aussi cette scène où un simple accessoire se pliant, se dépliant entre les mains, vole la vedette aux personnages. On joue avec le regard du spectateur et l'information visuelle qu'on lui offre et, ainsi, on l'accroche au son de la musique.
C'est cette scène où Alphonse lit à haute voix les agissements de Pierre Barbier, où il n'est qu'une voix et où, derrière les vitres de son bar donnant sur la rue, qui figurent autant d'écrans de cinéma, les enfants jouent les scènes racontées.
C'est le personnage de Maria que l'on suit du bar jusqu'aux grilles des fenêtres de l'arrière-salle pour montrer ce que l'on cache à tous.
C'est ces scènes de suspens, ces instants stoppés nets sur l'attente d'une résolution qui reste encore plurielle: Vont-ils le découvrir ? Vont-ils s'entêter ? Va-t-elle tirer ? Va-t-il l'étrangler ? Vont-ils le reconnaître sur le journal ? Et la musique, le chant, qui par leurs intonations accompagnent les événements incertains, s'accordent avec eux.
C'est ce coup de feu tragique, essentiel et pourtant dérobé au regard, pur son, en voile de Timante, qui pose un triste et sombre point final à cette histoire. La Porte des Lilas prend alors ce quelque chose de cynique des Faux-monnayeurs de Gide.


Enfin, Porte des lilas, c'est un sacré casting, impressionnant, qui offre aux spectateurs des artistes connus sous un jour méconnu.
Pierre Brasseur (La Malédiction des cloportes), habitués aux rôles de méchants charismatiques, donne dans le brave type incompris, ne comprenant pas toujours les autres, mais au grand grand coeur, resté jeune dans sa tête. Un authentique français plus que moyen, rendu adorable par ses imperfections.
Georges Brassens, qui fait une incursion au cinéma, reste le chanteur que l'on sait, même sur ces planches, mais correspond parfaitement au rôle qui lui est attribué.
Henri Vidal, le premier des Francis Coplan FX-18, ersatz de Jean Marais plus à l'américaine, joue le bandit, éternel adolescent, à la fois égoïste et cordial. Un homme qui, sans son orgueil, aurait pu être un homme bon. Assez reconnaissable durant le film, il entre méconnaissable physiquement et psychologiquement.
Jacques Marin (Le Monocle Noir, Charade, Comment voler un million de dollars ?) fait un caméo, fidèle à lui-même mais rasé de très près.
Paul Préboist y joue nous dit-on. Lr ôle du Charlie à trouver, sans doute.
Raymond Bussière, que l'on connaît surtout pour ses rôles comiques dans Les Sous-doués passent le bac ou L'Aile ou la cuisse, qui a représenté la France dans Chapeau Melon et Bottes de cuir, est ici plus jeune et dans un rôle plus charismatique que d'accoutumée. Cet acteur, bluffant en temps normal, est ici incroyablement bon.
Enfin, Dany Carrel (Le Pacha, Le Moulin des supplices), les cheveux très courts, la poitrine saillante, livre une de ses plus vivantes et authentiques interprétations.


Bijou de narration cinématographique, belle tranche de vie humaine, incroyable dépositaire d'un Paris disparu et des facettes les plus insoupçonnées de certains acteurs et chanteur, Porte des Lilas est un très joli tableau à l'ancienne que l'on ne saurait voir avec déplaisir, qui nous accroche tout en nous racontant une histoire des plus banales.

Frenhofer
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le 26 déc. 2017

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