Tout commence avec un rappel de l'enterrement de ***Louis Brès***, puis le fil reprend 4 mois plus tard.
La disparition de cet homme parait avoir une certaine conséquence sur la communauté agricole: peut-être est-ce le fait que la mort parait plus réelle pour ceux de sa génération.
Ou alors serait-ce parce que l'Agriculteur "passionné" -appartenant à un temps désormais révolu- est prêt à disparaitre, sans espoir de voir se répéter le cycle "à l'ancienne"?
Nous retrouvons donc la famille ***Privat/Rouvière*** -en pleine discussion houleuse au sujet de la disparition de Louis et de ce qu'il adviendra de ses terres.
Puis Raymond s'épanche un peu plus tard, qui sur le fait d'une probable succession, qui sur l'espace immense des terrains devenus inutiles...
Quoi qu'il en soit, Raymond -tout comme son frère Marcel - rayonne du fait de se trouver avec ses bêtes, au milieu de cette immensité blonde des champs...
**Marcelle Brès** discute avec son repreneur **Jean-François,** au sujet du manque d'eau chronique, dû à la sècheresse.
**Marcelle**, petite femme simple d'une autre époque -celle où l'on se connaissait tous- se désolant de la désertification de son "univers". Croisant ce qui semble être une touriste, elle lui mentionne affectueusement un emplacement pour s'asseoir tranquillement.

Réponse de " l'étrangère":
-"Non, mais je veux pas m'asseoir!"
Puis apercevant Depardon et sa caméra:
-"Mais vous me filmez?"
Marcelle:
-"Oui, il vous filme..."
L'étrangère:
-"Mais pour quoi faire?", s'indigne t-elle presque.
-"Parce que vous êtes là..." lui répond avec simplicité notre Marcelle...
L'étrangère, sur un ton désagréable:
- "Oui, mais c'est pas une raison!"
Et de s'enfuir vilainement, tandis que Marcelle s'approche d'elle, dans l'espoir (vain) d'amorcer une conversation aimable...
Marcelle reste seule dans le fond du cadre, petite silhouette chétive et tremblotante (peut-être un début de Parkinson), perdue dans un monde "moderne", où chacun ne pense qu'à soi...
-"Y a pas assez de monde, ici...", lancera t'elle sur un ton las, avant de tourner le dos à la caméra et de partir au loin.
Depardon nous fera savoir que la Marcelle sera victime d'une chute dans ses escaliers, quelques jours plus tard.
Tout comme Louis, elle sera hospitalisée puis sera placée dans une maison de repos, pendant presque 3 ans.
Elle ne reviendra jamais chez elle.
Le passé continue à dévorer le présent, en emportant lentement les derniers tenants d'une tradition, désormais "historique".


Retour en Haute Loire dans la ferme de Laval, chez notre **Paul Argaud** -l'agriculteur avare de parole- qui a du mal à vendre ses bêtes...Après quelques mots sur le mauvais temps, Paul répondra "à sa manière" à la salve de questions du cinéaste. 
Lorsque celui-ci lui demande depuis quand ses parents sont morts, une brèche dans sa "carapace de rudesse", se fait jour. Il y répondra avec une certaine émotion, puis détournera son regard vers la fenêtre, donnant sur un ciel gris et pluvieux.
Peut-être un reflet de son état d'âme, qui sait...
Plus tard, nous retrouvons dans un autre coin de la Haute Loire, un **Robert Maneval** apparemment stressé. En effet, il est présent à la Foire Annuelle de Fay sur Lignon (prononcez Failly) pour y vendre une grosse partie de son cheptel bovin.
Comme il le dira à l'un de ses collègues :
-"En 2 ans, on a perdu la moitié de la valeur de nos bêtes...Et chez le boucher, ça a pas baissé!".
De fait, **Robert** travaille à perte et ça lui pèse beaucoup...Du coup, il cherche un repreneur pour son exploitation, mais comme il le dit si bien :
-"...mais c'est pas commode!"
**Robert** explique aussi que pour obtenir sa pré-retraite, il est obligé d'installer quelqu'un dans sa ferme. Sans quoi, il devra continuer ou tout laisser tomber...
Vive l'administration!
De retour chez lui, **Robert** et sa femme **Paulette** accueillent un éventuel couple de repreneurs, **Amandine Gagnière** et **Michel Valla**.
**Amandine** souhaite monter une exploitation chevrière, ce qui tombe bien vu que le ministère de l'Agriculture refuse désormais les élevages bovins en Haute Loire, mais "oblige" à se ré-orienter vers la catégorie ovine (les moutons) ou caprine (les chèvres).
Le compagnon de la jeune femme est un artisan-maçon. Ce serait donc à **Amandine** seule de gérer cette nouvelle exploitation. Ceci dit, il est nécessaire d'avoir un apport financier très important pour débuter dans l'agriculture (achat des bâtiments+des bêtes+du matériel...) et le jeune couple est loin d'avoir de tels fonds.
Sûrement à cause de ces impératifs, les **Maneval** ne feront finalement pas affaire avec le jeune couple...
Revenant au **Villaret**, nous retrouvons un **Marcel** souffrant des yeux: opéré récemment d'un glaucome, il supporte mal la forte luminosité et sa vue est déficiente. Les médecins lui ont pourtant interdit le port de lunettes correctrices.

Notre Marcel ne peut que subir ces douleurs oculaires. Mais il lui reste ses brebis et le grand air...
De toute façon, Marcel n'a peur de rien: ni de son état de santé, ni d'une possible succession pour son troupeau, ni même de la mort...Il est comme ça, notre Marcel!


Petit crochet par la ferme de Laval, où Paul se tient droit comme un "i", face à la caméra.

Depardon lui demande ce qu'il a acheté à manger.
-"J'achète toujours les mêmes choses..." répond celui-ci, avant de se passer la main dans sa tignasse.
Car notre Paul peu prolixe s'est laissé pousser les cheveux.
-"C'est en signe de révolte, ou quoi?", lui demandera le cinéaste.
-"Oui, faut croire..." répondra Paul avec un demi-sourire...


. Après l'échec d'avec les Maneval, Amandine et Michel ont trouvé une maison avec dépendance. On les retrouve donc chez Madame la Notaire et celle-ci de leur annoncer que leur emprunt sera soldé en 2026 (nous sommes en 2002).
Le jeune couple espère toujours monter une petite exploitation caprine, mais ils ne seront pas au bout de leurs peines...


Tandis que le couple **Gagnière/Valla** s'endette pour 24 ans, les époux **Maneval** ont enfin trouvé un acquéreur pour leur exploitation, maison d'habitation comprise. Ils habitent à présent une villa dans un lotissement.
**Robert** a la mine épanouie -tout comme son épouse **Paulette**, d'ailleurs- et se réjouit d'en avoir fini avec cette vie de dur labeur. Il raconte que le stress incessant l'avait changé en homme désagréable et cassant.
Il dit aussi qu'il était au bord de l'implosion, une manière de souligner l'extrême pénibilité d'une vie de travail, ne s'arrêtant ni pour les jours fériés ni pour les grands week-ends.
Le travail était devenu sa vie.
Sa vie était devenue un travail.
Ainsi en est-il pour tous ces hommes (et leurs femmes, pour ceux qui ont eu la chance d'en avoir une) qui ont mis de côté les "plaisirs" de l'existence, pour se consacrer uniquement à leurs métiers (leurs passions, comme dit notre **Raymond Privat**) et ce, dans le but de nous nourrir "nous", soit ceux de la "ville" pour ces êtres auxquels on ne pense que peu, nous "plaignant" de nos 35 ou 40 heures de travail mais rentrant chaque soir dans notre confort "ouaté" et nos addictions "modernes".
Et surtout, nous ne pensons jamais à leur corporation vacillante et leur mode de vie ancestrale, attaqués de toute part via la rentabilité indécente des élevages intensifs et inhumains ,ou encore de quelques grandes chaines de fast-food, vendant de la viande de provenance certifiée douteuse!
Voilà ce que donne le cinéma de **Raymond Depardon** une ouverture sur des mondes peu ou pas connus du grand public et tous les questionnements qui en découlent. Le tout dans une sobriété quasi ascétique, capturant des tranches de vie dans l’œil de la caméra...
Avec ce **Chapitre 2**, nous retrouvons toute cette galerie de personnages, liés par des valeurs authentiques mais mis à mal par une "modernité" galopante, amenant dans son sombre cortège, un abandon des traditions pour une uniformisation globale, une recherche du moindre coût pour ramasser un maximum d'intérêt et sacrifiant l'honnêteté d'un labeur quotidien par une attaque massive de grand n'importe quoi.

Mais le plus ironique dans tout ça, c'est que cette génération "money" se targue de vouloir de la viande de qualité!


Allez donc demander leurs avis aux anciens comme Marcel et son frère Raymond, la 'ptite Marcelle Brès ou encore Paul le solitaire...
Ils en auraient des choses à vous dire, sur la "qualité" de la viande industrielle...

Franck_Plissken
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le 28 juin 2016

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The Lizard King

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