On n'achève pas si bien les chevaux

Après un incident sanglant qui a fait d'elle une paria, Amanda renoue avec son amie d'enfance Lily pour rattraper son retard en vue d'une entrée à l'université. Au coeur du gigantesque manoir de ce quartier huppé du Connecticut, les deux jeunes filles que tout semble opposer a priori vont développer le dessein d'assassiner le riche beau-père de Lily, responsable selon elle de tous les maux de son existence...


Premier long-métrage de Cory Finley développé à l'origine sous la forme d'une pièce de théâtre, "Pur-Sang" est typiquement le genre de production alignant un nombre assez incroyable de qualités mais à laquelle il manque ce petit je-ne-sais-quoi pour atteindre le stade de très grand film.
Ici, évacuons-le d'emblée, le principal défaut de "Pur-Sang" l'empêchant de prétendre à plus est sans doute sa bien trop courte durée (à peine 1h30) qui restreint certains de ses développements les plus passionnants en donnant la sensation de rester parfois en surface et d'aller trop vite sur quelques points là où on aurait aimé passer plus temps en compagnie de ses deux héroïnes, notamment sur la construction de cette amitié ambiguë qui va les unir autour de leur projet meurtrier...
Mais, mise à part cette rapidité d'exécution qui le dessert sur sa globalité en terme d'impact, on ne peut que chanter les louanges de ce "Pur-Sang", film néo-noir à l'humour grinçant jubilatoire et mettant en vedette un des meilleurs duos d'actrices de l'année.


On peut dire que Cory Finley a eu le nez fin en ayant l'idée d'associer Olivia Cooke à Anya Taylor-Joy en 2016, année du tournage de "Pur-Sang". Certes, les deux actrices s'étaient déjà faites remarquer grâce à quelques rôles marquants mais pas au point d'acquérir le statut incontestable de stars montantes qu'elles possèdent désormais. Il est d'ailleurs fort possible que "Pur-Sang" n'aurait pas eu la même saveur sans elles tant le film est imprégné de cette conjugaison parfaite entre la subtilité d'écriture de ses personnages et le talent de leurs interprètes.


L'histoire nous est donc introduite à travers le regard d'Amanda, jeune fille sociopathe par son incapacité à ressentir la moindre émotion, ses retrouvailles avec Lily la voient prendre rapidement l'ascendant sur ce qui semble être une caricature d'adolescente froide de bonne famille en cherchant à mettre ses failles en exergue. Seulement, et c'est là une des plus belles idées de "Pur-sang" afin d'éviter une bête opposition de caractères, Lily va faire voler en éclats cette carapace lui permettant de passer inaperçue dans son environnement social pour s'ouvrir à Amanda qui incarne une sorte de confidente d'une neutralité parfaite par son absence d'émotion superficielle.
De leur projet de se débarrasser de ce beau-père en apparence insupportable va découler une relation vampirisante où chacune des jeunes filles parait tirer de l'autre une nouvelle force dans le but d'extérioriser sa véritable personnalité refoulée en elle jusqu'alors. Pendant que Lily se nourrit du néant émotionnel d'Amanda pour trouver la force d'éteindre la haine envers son beau-père grâce à une solution radicale, Amanda, elle, paraît s'épanouir (à sa drôle de maniere) au fur et à mesure que leur plan rapproche de fait ces deux héroïnes.
Faisant tout le sel du long-métrage, cette espèce de ping-pong permanent autour de la perméabilité de leurs personnalités tisse en filigranes une véritable histoire d'amitié improbable et amenée forcément à être en danger si l'une tire trop profit de l'autre. En ce sens, le dernier chapitre est une espèce de petite merveille, le dernier plan sur leur fameux canapé résumant à peu près tout de la force du lien qui les unit et l'épilogue se chargeant de nous montrer ce qu'elles en ont conservé.
Même si Ana Taylor-Joy est absolument parfaite pour traduire toute l'ambivalence du personnage de Lily dans le but de l'emmener vers une noirceur insoupçonnée, il faut reconnaître qu'Olivia Cooke lui vole un peu la vedette dans le rôle d'Amanda. Tantôt hilarante par ses regards impassibles, tantôt incroyablement touchante par tout ce qui parvient à s'échapper de derrière ses grands yeux pour nous émouvoir, l'actrice délivre tout simplement une de ses prestations les plus impressionnantes. Bien entendu, n'oublions pas de mentionner Anton Yelchin, mort quelques jours après le tournage, au diapason des deux comédiennes pour apporter un peu de légèreté grâce à son rôle de petit dealer aux ambitions démesurées et se retrouvant malgré lui dans la combine des deux amies.


Aussi talentueuses soient-elles, il fallait une écriture et une mise en scène à la hauteur pour mettre en lumière ces deux comédiennes. Et, pour un premier film, on peut dire que Cory Finley impressionne à tous les niveaux : non seulement les dialogues sont des petites merveilles de drôleries, de perfidies et de profondeur qui font constamment mouche mais sa réalisation devient un acteur déterminant pour saisir la pleine mesure de cette hydre à deux têtes que constitue la relation entre Amanda et Lily.
À travers de longs plans-séquences suivant les jeunes filles dans ce gigantesque manoir se dessine le vide émotionnel imposé à cette jeunesse que l'on force à aller dans des directions imposées. Amanda et Lily se sont quelque part elles-mêmes sabordées chacune de leur côté pour tromper l'ennui d'un avenir tout tracé, leur errance mutuelle prend ainsi fin avec leurs retrouvailles et ce but meurtrier commun allant contre toutes les normes possibles. Et c'est justement l'étincelle de cette nouvelle motivation transgressive animant les deux jeunes filles que Cory Finley parvient à traduire à l'écran avec une réelle intelligence.
Leurs discussions autour de leur plan deviennent une normalité là où toutes les manifestations extérieures comme celles du beau-père sont considérées comme intrusives en apparaissant toujours d'abord comme une menace en arrière-plan (sans parler de la mère littéralement cachée dans sa boîte). Bien sûr, la donne va varier astucieusement au fur et à mesure que la personnalité de certains va se révéler pour changer notre perception mais l'ambiance étrange découlant également pour partie d'un travail sonore redoutable (la musique expérimentale à base d'objets d'Erik Friedlander, le bruit de l'ergomètre du beau-père en arrière-fond, etc) sera, elle, toujours au rendez-vous offrant à "Pur-Sang" un ton unique le distinguant de tout venant actuel, un peu à l'image du statut extraterrestre de ces héroïnes que leur environnement cherche à étouffer...


Peut-être qu'il manque une petite demi-heure à "Pur-Sang" pour aller jusqu'au bout de ses intentions et marquer vraiment les esprits mais, en l'état, il est déjà un premier film réussi sur de nombreux plans et porté par deux jeunes actrices absolument formidables. Et puis, c'est le dernier long-métrage tourné par le regretté et génial Anton Yelchin. Même si son rôle est secondaire, on ne pouvait pas faire meilleur instrument pour rendre hommage à son éclectisme et à son talent, rien que pour ça...

RedArrow
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le 19 nov. 2018

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