Quand la mer monte... par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Irène est une comédienne vivant une vraie vie de clown triste pleine de solitude. Mariée et mère de famille, elle ne retrouve les siens que le week-end. Chaque soir de la semaine elle est en tournée et présente sur les scènes de modestes théâtres du nord de la France son one- man show: "Sale affaire" l'histoire tragi-comique d'une meurtrière. Le public est le plus souvent restreint et le succès parfois laborieux. Le spectacle terminé, Irène range sa petite valise de costumes et d'accessoires et regagne seule sa petite chambre d'hôtel au confort sommaire. Un soir, lors de l'un de ses représentations, elle fait la connaissance d'un spectateur assidu de la pièce: Dries un jeune Flamand lunaire exerçant l'activité de porteur de "géants" lors des fêtes communales de la région. Pour cette femme d'âge mûr et ne se sentant plus très belle, cette rencontre va illuminer comme un rêve ses jours et ses mornes soirées d'après galas. Ainsi les tristes chambres d'hôtel à l'éclairage blafard finiront par s'égayer.


Je suis heureux de parler de ce premier film de Yolande Moreau et de Gilles Porte notamment pour deux raisons. La première est la pièce de théâtre dont est tiré ce film "Sale affaire, du sexe et du crime" écrite en 1982 par Yolande Moreau qui remporta un beau succès populaire malgré un sujet pas véritablement accrocheur donc difficile à réaliser pour captiver le public.
La seconde vient du fait que j'adore l'humour sobre, souvent piquant et véritablement humain des "Deschiens". L'intrigue de cette réalisation est simple et originale à la fois. Elle nous décrit avec émotion cette femme un peu paumée dans une nature un peu triste et sévère, aux paysages industriels du nord de la France. Elle écume ainsi les salles de théâtres municipaux entre Béthune et Armentières afin de présenter seule son spectacle relatant l'histoire tragi-comique d'une ancienne meurtrière délurée et de ses relations avec les hommes suite à ce lourd passé. Sur scène, elle est vêtue d'une simple blouse moulante et pour tous accessoires, elle possède un sac avec deux revolvers, quelques billets de banque, une chaise en bois, un poireau et un masque extravagant rouge avec un grand nez. Dries, fasciné autant par la femme que par l'actrice, assiste à ses spectacles et finit par aborder Irène. Dès lors, cette femme sentant sa jeunesse s'évaporer à jamais et esseulée pour assumer ses tristes pensées va commencer à revivre, à exister. Dries va lui faire rompre sa solitude et lui faire découvrir son monde fabuleux et original de "géants".
Grâce à cela, Irène va enfin pouvoir rêver, s évader et sourire pour de vrai. Pour la première fois de sa vie, dans l'euphorie, elle appelle de son portable afin de prévenir son mari qu'elle ne rentrera pas ce week-end. Son idéal est à portée de son cœur, il lui reste à le faire vivre...


A partir d'un sujet aussi ordinaire, il est permis de s'imaginer que le spectateur va subir une suite d'images et de dialogues rébarbatifs et anesthésiants. Détrompez-vous car ce film captive et nous plonge dans son univers bizarre, désenchanté et morose. Que le Nord est attachant lorsqu'il est filmé de la sorte avec certes sa froideur, ses paysages un peu tristes mais aussi avec les bruits de ses fêtes, de ses chansons et de ses rires. Yolande Moreau, personnage marqué par la solitude, est formidablement émouvante par son naturel. Elle nous livre avec pudeur et talent ses états d'âme qu'elle transporte telle sa petite valise tout au long de sa tournée d'un lieu à un autre. A la voir évoluer au gré des rares évènements de sa vie on finit par la trouver radieuse et même très belle. Wim Willaert en jeune homme affectueux, au caractère d'enfant, est attendrissant au possible dans son univers de géants en carton. Ce film tout simple et assez atypique est un petit écrin rempli de poésie avec ces paysages du nord qui sentent bon la fête, la bière et la chaleur humaine.


Voici le genre de film dont on se sent imprégné du sujet et des personnages. Un premier film est très souvent réalisé avec quelques maladresses tout à fait pardonnables la plupart du temps, mais dans le cas présent, je n'en vois aucune. Voici donc un film qui sent bon la vie de nos régions, plein de sincérité, d'originalité de simplicité comme l'était la célèbre série des Deschiens si chère à Yolande Moreau.


Ce film a obtenu:
- Les César du meilleur premier film et de la meilleure actrice pour Yolande Moreau.
- Grand prix de la critique au festival du film francophone "Lumière de Safi" (Maroc).
- Prix du public au festival francophone de Vienne (Autriche).
- Prix Louis Delluc du premier film en 2004.

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le 11 mai 2013

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