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Juan Antonio Bayona, pupille de Guillermo Del Toro qui finança son premier film, a rapidement été rangé dans la nouvelle vague de l’horreur espagnole avec l’orphelinat pour rapidement en sortir en s’intéressant aux vagues tout court dans The impossible racontant le périple d’une famille de touristes pendant le tsunami de 2004. Ici on parle d’un arbre géant, d’une chapelle avec des problèmes de sol et d’un gamin anémié qui devrait songer à aller dormir plus tôt même si « Quelques minutes après 20h30 » ça claque moins comme titre.
Une filmographie disparate ? Pas vraiment, dans l’orphelinat, film d’horreur-fantastique intimiste dépressogène (oui, tout ça), on gravite autour d’une mère perdant son fils dans une inquiétante demeure gorgée de souvenir, dans The impossible, une famille se retrouve séparée par les événements dans l’angoisse de ne pas savoir si l’autre est vivant, ici on suit un Oliver Twist moderne quasiment pas tête à claques en train de voir son monde s’écrouler.
L’approche du fantastique fait l’exploit d’être parfaitement frontale, l’If du cimetière voisin annonce le scénar au gamin : il est là pour lui raconter trois histoires avant le générique tout en distillant beaucoup plus subtilement ses véritables intentions pour passer à travers l’écorce et faire éclore un brin d’émotion même chez le spectateur le plus endurci. Attention rien d’horrifique ici si ce n’est le quotidien de notre jeune héros propre à faire largement préférer les créatures dans le placard face à une réalité réduisant son monde à néant. En effet le jeune Lewis MacDougall oscillera entre une mère malade (Felicity Jones), une grand-mère pas vraiment mamie gâteau à la communication difficile (Sigourney Weaver), un père absent (Toby Kebbell) et l’inévitable petite frappe en fin de cours qui pour le coup semble préparer l’agrég de philo. On comprendra facilement sa préférence pour l’arbre joué par un Liam Neeson à la voix grave et aux yeux jaunes, de toute façon ce n’est pas comme si le scénario lui avait laissé le choix.
Le film s’inscrit dans les belles amitiés avec un 2nd niveau de lecture entre un gamin et une créature fantastique comme un E.T. en son temps. La direction artistique distille une mélancolie pleine de grâce dans cet univers gris cendré plutôt qu’un fatras numérique flashy. Bien écrit au-delà de son apparente linéarité, les trois contes bénéficient d’une animation rappelant le stop-motion où les jeux d’ombres chinoises d’un Michel Ocelot (si tu connais pas, tu loupes un truc). Leur moralité difforme en fait de truculentes questions philosophiques, du Candide mordant plus que du Grimm benêt. A tout ça on ajoute un final d’une rare poésie ayant rendu au parvis du ciné un public à la truffe humide discutant pour la plupart d’un twist appréciable en bout course peut-être glissé là pour les fidèles de l’orphelinat et beaucoup d’espoir pour le Jurassic World 2 que Bayona va bientôt mettre en boîte.
Maintenant pourquoi j’ai aimé avec réserves ? Tout simplement parce qu’un des mentors de Juan Antonio est le réalisateur du labyrinthe de Pan et que j’ai préféré dans une subjectivité totale le labyrinthe de Pan partageant le même concept pas vraiment novateur de l’enfant passant ses problèmes par la métaphore du merveilleux. Reste la grande force aux allures de faiblesse de Juste après minuit de ne pas perdre son héros dans un labyrinthe prenant ici l’allure d’un couloir bien droit, un choix gardant le film ancré dans la réalité préférant revenir à la force réelle plutôt que fantasmée du « il était une fois ». Le conte est ici cathartique, une aide nécessaire au héros pour accepter la réalité avant de se transformer dans ses derniers instants en une ode à la guérison par la création, rapport probable à l’auteur du livre Siobhan Dowd, décédée des suites d’un cancer avant le point final qui sera posé par un autre auteur, Patrick Ness. Une manière pour elle de persister, maintenant sur une pellicule permettant de nous conter non pas une belle histoire pour nous endormir mais une histoire pour dormir mieux : Il était une fois, quelques minutes après minuit…

Cinématogrill
7
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le 5 janv. 2017

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