En même pas trois longs-métrages, le réalisateur espagnol Juan Antonio Bayona s’est taillé une solide réputation d’artisan talentueux. À tel point qu’il n’a pas fallu longtemps pour que les studios hollywoodiens lui fassent les yeux doux, le nommant à la direction d’un projet de plus grande envergure qu’à l’accoutumée (Jurassic World 2 pour 2018). Après avoir livré un thriller d’épouvante efficace sous la houlette de Guillermo del Toro (L’Orphelinat) et un film catastrophe très intimiste (The Impossible), le cinéaste est revenu chez nous en cette année 2017 avec Quelques minutes après minuit. Une œuvre totalement passée inaperçue en salles (seulement 71 184 spectateurs se sont déplacés pour le voir) alors qu’il s’agit ni plus ni moins d’un véritable uppercut. Sans aucun doute le meilleur film du réalisateur à ce jour, si ce n’est déjà l’un des titres les plus mémorables de cette année. Profitons donc de sa récente sortie dans les bacs pour nous (re)plonger dans ce magnifique conte !


Après le visionnage de Quelques minutes après minuit (A Monster Calls en VO), vous verrez sans l’ombre d’un doute que Juan Antonio Bayona est l’un des meilleurs réalisateurs de sa génération. Qu’il possède toutes les qualités pour livrer un excellent film au public. Pour se permettre de switcher entre plusieurs genres cinématographiques sans jamais se perdre ni faire défaut à son talent inné. Pour copier le style d’autres réalisateurs sans jamais chuter dans le plagiat et imposant sa patte personnelle. Quelques minutes après minuit, c’est la conclusion de son triptyque familial déjà entamé avec L’Orphelinat et The Impossible. L’apothéose de sa filmographie naissante dans laquelle il a su réunir tout le savoir-faire acquis lors de ses précédentes réalisations. Et tout cela en partant d’une base scénaristique à première vue classique, proposant un enfant perdu dans son imaginaire (à cause d’une mère atteinte d’un cancer et de camarades de classe le tabassant sans cesse) qui va faire la rencontre d’un arbre monstrueux venant le voir certains soirs.


On peut déjà retrouver en Quelques minutes après minuit un côté assez spilbergien, notamment avec cette histoire prenant comme personnage principal un jeunot livré à lui-même, au cœur d’une intrigue portant sur un piédestal le thème de la famille dans tout ce qu’elle a de fragile (la maladie, des parents séparés, une grand-mère un brin sévère et glaciale…) et de puissant (le lien unissant cet enfant à sa mère, la grand-mère prouvant qu’elle n’a pas un cœur de pierre comparé au premier abord…). Le tout baigné dans un récit hautement fantastique servant de prétexte à une quête initiatique beaucoup plus complexe qu’elle n’y parait, durant laquelle le jeune héros va apprendre à affirmer sa présence et ses sentiments plutôt que de se cacher derrière son imaginaire et les coups de ses camarades. Même si l’on voit très vite où le récit veut nous emmener (le Monstre annonçant d’emblée qu’il racontera trois histoires avant de laisser l’enfant en conter une quatrième, symbole de l’éclatement de ses émotions après quelques leçons de vie), on se laisse très vite embarquer par le film. Ce dernier prenant aussitôt au tripes par l’écriture de son protagoniste et de son histoire il est vrai dépressive (comme pourra en témoigner la dernière partie), travaillée avec le plus grand soin pour toucher le spectateur de la manière la plus percutante qui soit.


Il faut dire aussi que la distribution du long-métrage aide beaucoup, Juan Antonio Bayona montrant une nouvelle fois qu’il a su réunir un casting de prestige et le diriger avec savoir-faire. Notamment en ce qui concerne les rôles féminins. En effet, avec Quelques minutes après minuit, vous découvrirez une nouvelle facette du jeu d’actrice de Felicity Jones, star hollywoodienne montante depuis plusieurs mois (Inferno, Rogue One), qui interprète cette mère malade avec beaucoup de conviction qu’elle risque fort de vous faire couler quelques larmes à chacune de ses apparitions à l’écran. Vous verrez une Sigourney Weaver magistrale. Comme à son habitude, certes (elle n’a plus rien à prouver depuis sa consécration dans le premier Alien) ! Mais dans un rôle de grand-mère austère d’une rare intensité, qui ne fait qu’accroître tout le bien que nous pensons de son immense talent. Et entre deux, nous avons également l’imposante performance vocale de Liam Neeson (le Monstre), s’éloignant (enfin !) des films d’action pour assurer qu’il sait faire autre chose que cogner et tirer sur des gens. Mais malgré ces grands noms, la véritable star du long-métrage est bien le jeune Lewis MacDougall. La révélation du moment qui pique sans aucune difficulté la vedette à ses homologues hollywoodiens grâce à son jeu très adulte, très profond. Il parvient à offrir toute la complexité et la puissance que nécessite son personnage, et c’en est bluffant au possible !


Quelques minutes après minuit vous marquera également par l’ambiance qui s’en dégage, cette dernière étant maîtrisée à la perfection. Flirtant avec l’aspect sombre et brumeux de la vie difficile de cet enfant qui se perd dans un imaginaire à la fois gothique, pour ne pas dire terrifiant (la présence du Monstre, le final dans le cimetière), et poétique (les histoires racontées par l’arbre, mises en scène par le biais d’une animation enchanteresse). Une atmosphère que n’auraient pas reniée Tim Burton et Guillermo del Toro. Un fait qui révèle que Juan Antonio Bayona a toutes les capacités adéquates pour mettre à l’image une histoire de la façon la plus convaincante possible. En usant des effets spéciaux sans jamais en abuser. En ayant le rythme du montage ainsi que l’oreille musicale pour faire confiance à son compositeur attitré Fernando Velázquez. Bref, tout ce qu’il faut pour vous émouvoir, vous surprendre. Et surtout faire de ce visionnage un moment mémorable qui vous transformera sans mal juste après son générique de fin.


D’une intensité monstrueuse, Quelques minutes après minuit est l’aboutissement sans faille du travail d’un cinéaste qui peut désormais s’attaquer à toute sorte de projet, car ayant gagné la confiance des plus gros producteurs ainsi que la nôtre. C’est pour cela que, malgré l’horreur qu’avait été Jurassic World, le voir prendre les rênes de la suite a quelque chose de rassurant pour cette dernière. D’autant plus que le réalisateur a déjà fait deux annonces à son sujet, montrant à quel point il avait compris ce qu’il avait entre les mains : revenir à la tension des premiers opus ainsi qu’aux effets spéciaux « faits à la main » (marionnettes et autres animatroniques). Après, aura-t-il assez de caractère et de liberté pour ne pas se laisser noyer dans l’impitoyable engrenage hollywoodien ? C’est ce que nous espérons de tout cœur, car après avoir fait trois longs-métrages d’excellente facture, sublimés par un exceptionnel Quelques minutes après minuit, il y aura de quoi crier au gâchis !

Créée

le 13 mai 2017

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