Il est des douleurs que le temps et les longues séparations n'estompent pas. Des tragédies que l'on tente d'ignorer, une souffrance que l'on mêle à son quotidien jusqu'à en mimer le bien-être quand tout n'est que poussière et cicatrices profondes. La famille de Rachel vit avec le poids d'un drame qui toumente les âmes et déchire les coeurs. À l'extérieur, c'est une heureuse famille recomposée avec le retour à la maison de Kym qui s'apprête à fêter un heureux évènement. Mais à l'intérieur, tout n'est que désolation et tristesse, les conflits latents se manifestent jusqu'à pointer vers un unique évènement. Un accident que l'on évite soigneusement d'évoquer, mais pas Kym qui, après avoir connu des mois d'enfermement en suivant une cure de désintoxication, en a assez de ce silence pesant où tous conspirent à sourire quand tout ne se prête qu'à maudire.

Il n'y aura pas de Deus Ex Machina, c'est au forceps que les non-dits seront arrachés, tantôt du bout des lèvres, tantôt dans un flot de hurlements. Parfois dans les larmes. Et le spectateur dans tout ça ? Jonathan Demme prend bien soin de lui laisser le temps de comprendre ce qui ronge cette famille malheureuse réunie pour un instant de bonheur, un mariage qui prend très vite des allures de règlements de compte. Au centre de toutes les vicissitudes, une Anne Hathaway bouleversante de vulnérabilité dont la nomination aux derniers Golden Globes et aux Oscars n'est pas déméritée. Elle livre une prestation étonnante, interpétrant un personnage explosif au caractère à fleur de peau qui refuse que l'on éponge sa peine à sa place. Elle veut parler, elle veut qu'on l'entende. Elle aime, elle souffre, elle vit avec le pêché et les remords, elle veut que cela se sache, mais personne ne l'écoute. Ni son père, protecteur et gardien du sceau familial, ni sa soeur, cachant derrière ses doléances logorrhéiques une haine pleine de tendresse.

Demme veut que le spectateur soit totalement immergé dans la complexité des émotions qui touchent cette famille en l'empêchant de sombrer dans une quelconque indolence. La nébuleuse mise en place exige un effort de réflexion et d'appréhension qui mue le spectateur en témoin, grâce à cette approche expérimentale qu'ont le cinéaste et son chef-opérateur Declan Quinn, avec cette caméra portée de manière constante, immersive et intrusive, omnisciente et impuissante. Nous transformer en invités n'est pas sans conséquence néfaste, car si la mise en scène ne manque pas d'audace, les longueurs interminables sont inhérentes à la participation au mariage in extenso. L'inexorable est à ce prix, car les ruptures brutales permettent tout autant de se laisser convaincre que le malaise n'est pas que sur l'écran de cinéma. Il nous gagne, nous gêne, nous émeut, nous révolte.

Un vertige oppressant qui n'a pas que du bon, surtout quand il s'agit de reposer ses yeux à force d'être bousculé par les multiples heurts de la caméra à l'épaule, qu'on aimerait trop souvent plus contemplative et moins dirigiste. C'est ce manque de contraste entre l'hystérie ambiante et l'énergie constante insufflée par la réalisation qui empêche un décalage nécessaire entre l'observation et le ressenti, au point que les scènes prononcées de pathos en deviennent salvatrices et trop vite écourtées par ce besoin constant d'aborder avec virtuosité une simple prise de vue d'un mélodrame grandeur nature où se mêlent besoin d'ataraxie des uns et avulsions des autres. L'ennui ne peut donc être écarté de la liste des invités et les noces, réellement rebelles cette fois-ci, s'en retrouvent dynamitées avant d'être dynamisées. L'idée était là, le résultat par moment déçoit.

En bref : Porté par la prestation étourdissante d'une Anne Hathaway émouvante, Rachel se marie ne manquait pas d'audace dans sa façon d'inviter le spectateur à plonger dans l'ampleur du drame qui étouffe une famille. Mais l'aplomb de la mise en scène à immerger n'arrive pas à se défaire des maladresses que le script semblait éviter, avec une forme exagérée pour un fond qui se serait suffit à lui-même.
Kelemvor
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le 7 oct. 2013

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