Quelques particules irradiantes autour d’un gros noyau totalement inerte

Les films de Marjane Satrapi s’enchainent et se ressemblent un peu.
Malheureusement…


Je ne vais pas renier à ce « Radioactive » le soin réel qui transpire de chacun de ses plans parce qu’en effet il y a bien là un travail propre et réfléchi. Cela relève de l’évidence.
Seulement voilà, après quelques minutes d’écoulées m’est vite revenue cette sensation que j’ai déjà pu avoir face à « Poulet aux prunes » ou « Voices » ; cette sensation qui me disait que tout cela avait beau être fort joli que ça n’en manquait pas moins pour autant d’une réelle profondeur d’âme.
C’est un petit peu comme si l’art de Marjane Satrapi consistait seulement à bien enrober une intrigue dont elle n’entendait pas s’emparer.
Car c’est bien cela qui m’a sauté en premier aux yeux face à ce « Radioactive » : au cœur de ce film se trouve une écriture sans audace ni aspérité que la plastique semble juste vouloir accompagner.


Alors certes, je pourrais reconnaître comme mérite à ce film de ne pas sombrer dans la fable féministe surappuyée à laquelle l’époque appellerait pourtant avec force. Malgré tout on n’échappe pas au banal enchaînement d’informations biographiques qu’on s’efforce d’humaniser par tout un ensemble de poncifs habituels.
Ainsi la première rencontre entre Pierre et Marie est-elle une bousculade inopinée dans la rue où elle fait tomber son livre et où il lui ramasse (bah voyons), de même que tout son parcours d’enfance se retrouve platement résumé en des dialogues artificiels prétextes à déballer sa vie ou bien en de banals flashs-backs de moments larmoyants.
Tout ce qui pourrait être saillant dans la vie de Marie Curie est d’ailleurs désespérément lissé. Sciences, mœurs, culture… Tout est lessivé et dilué à dimensions homéopathiques afin qu’il ne nous reste au final que les sempiternels personnages standards et fades qu’on croise dans tous les biopics. Tout ça étant en plus maladroitement accentué par une photographie luisante digne d’un teen-age movie Disney, ce qui n’aide clairement pas…
Et – on ne va pas se mentir non plus – voir ce film tourné par une Française mais avec un casting intégralement anglophone, ça n’est pas là pour arranger l’affaire non plus…


Et pourtant – comme à chaque fois avec Marjane Satrapi – autour de ce noyau inerte dénué de toute chair et d’inventivité gravitent
malgré tout quelques petites fulgurances qui me font nourrir de profonds regrets.
Car oui, à force de tenter des trucs dans sa forme, il y a de temps en temps dans ce « Radioactive » quelques chocs de particules qui s’opèrent et qui créent d’heureux accidents ; des éclairs de génie fugaces dont on ne fait rien alors qu’ils auraient pu transfigurer le film.


Premier exemple :


Ces quelques inserts d’images d’atomes rayonnant en plein cœur du récit, accompagnés qu’ils furent par la musique plutôt bien inspirée des frères Galperine, ont su générer un vrai envoutement chez moi. Soudain l’univers de Marie Curie prenait forme. Un univers abstrait et bien réel à la fois. Un univers totalement futuriste mais ancré en même dans une imagerie pouvant paraître comme datée. A ce moment là j’avais envie que le film se taise, qu’il déraille un peu de son récit plan-plan et nous emmène dans ce monde parallèle. Mais bon, en vain…


Autre exemple, plus flagrant encore :


Ces sauts inopinés dans le futur pour montrer toutes les applications concrètes des découvertes de Marie Curie sur la radioactivité. Hiroshima. Tchernobyl. La radiothérapie… Ces bons suscitent subitement des vertiges temporels qui donnent brusquement toute l’ampleur science-fictionnelle de ses découvertes. Le regard porté sur le réel et sur l’Histoire devient soudainement nouveau, éclairé par un angle brut et direct. Là encore, ces passerelles pouvaient être davantage exploitées pour proposer un champ de sens et de sensations vraiment saisissant ; bien plus que les jérémiades stéréotypées entre Marie et son entourage. Seulement voilà, encore une fois cette idée gravite là comme un détail sans que le film ne s’en empare vraiment.


Enfin, dernier exemple lui aussi assez révélateur :
J’en parlais un peu plus haut dans les spoilers – et cet élément mérite d’être davantage développé – la composition souvent habile d’Evgueni et Sacha Galperine. Jouant beaucoup sur un imaginaire science-fictionnel propre aux années 50-60, avec synthés, bips sonores et autres scies musicales, la bande-originale parvient à colorer certaines scènes d’une intention clairement identifiable qui tranche avec tous les autres compartiments techniques.


A eux trois, ces seuls éléments suffisent d’ailleurs à expliquer ma clémence en termes de note à l’égard de ce « Radioactive ».
Trois éléments qui font qu’à des moments je suis parti loin – très loin même – quand bien même fut-ce extrêmement ponctuel et stimulé par ma très grande imagination.
Seulement voilà, ces trois éléments, ce sont aussi ceux qui révèlent toute l’incohérence qui habite ce film.
Incohérence formelle d’abord, tant la photographie, l’écriture et la musique semblent vouloir faire partir le film dans des directions totalement opposées.
Et même incohérence entre la forme et le fond, car au final la forme se démène à explorer des pistes que le fond n’a – à aucun moment – la prétention de porter.


Car oui, à bien tout prendre, c’est bien cela qui pose le plus de souci dans « Radioactive ».
Ce film n’entend en fin de compte rien dire.
Il est juste un énième biopic de plus qui entend forger une icône à partir de la même glaise que toutes les autres, utilisant au passage le même modèle lisse qui l’indifférenciera par rapport à toutes ces autres statues qui peuple le jardin biopicique.
Et à s’acharner dans son art de l’enrobage, Marjane Satrapi échoue finalement une fois de plus à produire un film plein et entier.
Dommage. Et encore dommage.
Tant de tonnes de pechblende broyées pour seulement quelques grammes de radium…
Cela relève vraiment du gâchis…

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le 8 juil. 2020

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