Henri Decoin réussit un excellent film noir à la française, typique des années 50, en forme de reportage vécu, dévoilant au grand public les secrets d'un monde peu reluisant, la filière de la cocaïne, et les intérêts mis en jeu par ce trafic. Le romanesque est peu présent, le côté pittoresque de la série noire à la Auguste Le Breton a été plus ou moins gommé, Decoin ayant reconstitué avec vigueur et réalisme le milieu de la pègre, l'univers des drogués, des indics, des revendeurs, des petites frappes, des patrons de bar louches, des vamps urbaines... toute une faune pittoresque saisie dans une atmosphère nocturne telle qu'elle se présentait en France dans les années 50. Ce portrait et ces méthodes passeront aujourd'hui pour obsolètes, mais les méthodes n'ont guère changé, l'univers des trafiquants qui ressemblent plus à des artisans et des bricoleurs n'étant pas encore rentrés dans l'ère industrielle, est dépeint sans complaisance, et c'est justement l'intérêt de ce film, ce côté instructif qui donne aux personnages une réelle dimension humaine par delà les stéréotypes de l'époque.
Certaines scènes sont très fortes, comme la rafle au "Troquet" ou celle de l'interrogatoire, servies par une interprétation très solide qui appuie le sujet, où autour de Gabin encore remarquable de sobriété et de détermination, une galerie d'acteurs remplit parfaitement chaque rôle, Decoin sachant utiliser le moindre acteur de complément pour en faire un type humain ; Lino Ventura (dont c'était le second film, retrouvait Gabin après Touchez pas au grisbi de Jacques Becker), Lila Kedrova en droguée pathétique, Marcel Bozzuffi, Albert Rémy ou Marcel Dalio... tous les rôles sont parfaitement tenus pour illustrer ce roman d'Auguste Le Breton aux dialogues incisifs dont le film s'inscrit dans la tradition de la mythologie du polar français à l'ancienne et qu'on peut placer parmi les meilleurs Gabin de cette époque, comme Touchez pas au grisbi ou le Rouge est mis.