Ils ne sont pas nombreux à avoir tapé juste dès le premier film et Reservoir Dogs est un coup de maître. Et quand on connait son histoire, on ne peut qu'admettre que ce film est un miraculé. Car si Harvey "Mr White" Keitel n'avait pas fourré son nez dans cette affaire, il n'aurait jamais existé. Et un peu à l'image d'un Bad Taste de Peter Jackson, tous les moyens étaient bons pour économiser du fric, comme en témoignent des acteurs très impliqués, allant même jusqu'à utiliser leurs propres biens pour le tournage.


Mais même sans ça, quand on a, à la tête d'un film, un réalisateur aussi fou, passionné et incroyablement expressif que Tarantino on ne peut que s'attendre à un résultat détonnant. Et Reservoir Dogs ne déçoit pas à ce niveau. A grand coup de violence (verbale comme physique, mais jamais gratuite) et d'humour noir, son réalisateur tisse sa toile autour de ses personnages. Des personnages qui sont clairement le centre de l'histoire, comme ce sera le cas dans la quasi totalité de ses films suivant.
La première séquence est empreinte d'une folie certaine, une conversation qui part en couille dès les premières bafouilles, une caméra en constant mouvement et qui colle au plus près des personnages. On est dans l'antichambre du huis-clos qui s'annonce, Tarantino pose ses bases et assène ici et là, au milieu du joli bordel que représente ce premier dialogue, quelques piques, notamment à travers le personnage d'Harvey Keitel, histoire de faire doucement monter la tension. Qu'on se comprenne bien, cette première séquence est un foutoir absolu, une sorte de témoignage de la beaufitude des personnages qui vont nous accompagner pendant 1h30, et en plein milieu de ce flot continu de paroles, il y a ce léger moment de tension à propos d'un bouquin, pris sur le ton de la rigolade mais qui annonce clairement la suite des évènements. Tout va partir en couille mes amis.


Il est intéressant de constater que pour la plupart du grand public, Tarantino est un scénariste avant d'être un metteur en scène. Reservoir Dogs (entre autre) prouve le contraire, puisqu'il y a un vrai travail de recherche, dans la composition des plans, des couleurs et des personnages (pas un hasard si les personnages ont pour noms de codes des couleurs) et surtout dans sa façon de construire son huis clos. Le travail autour de la montée en tension est certes, scénaristique avant d'être un travail de mise en scène, mais sans ses propres choix le film aurait eu une tournure différente. Et le fait de pointer sa caméra sur ses personnages est justement l'un de ses choix qui justifie à merveille le huis clos. Le simple fait d'être constamment collé à eux rajoute un sentiment d'étouffement, qui joue énormément en faveur de l'action. Mais pour que tout cela fonctionne il faut bien évidemment que l'identification aux personnages soit suffisamment forte (c'est d'ailleurs en ce sens que je trouvais Le Fils de Saul comme étant un film froid, alors qu'il utilise le même procédé, certes poussé à l’extrême), et c'est en ce sens que ces lignes de textes interminables et jouissives prennent tout leur sens. En voyant ces personnages parler aussi librement et toujours dans le second degré, l'identification s'opère d'elle-même. Dès lors, le spectateur devient plus impliqué dans l'action, se forge une idée précise sur les personnages, ce qu'ils représentent, leur personnalité etc...
Et je trouve que la grande réussite des films de Tarantino réside là, savoir toujours doser à merveille son blabla constant avec une mise en scène léchée, afin que la quantité de personnages garnissant l'écran soit parfaitement identifiable et imbricables (je ne suis pas sur que ce mot existe, mais le verbe imbriquer correspond tellement bien à Tarantino qu'il vaut quand même la peine d'être utilisé) dans son histoire. Et Reservoir Dogs est la parfaite démonstration de cela.


Si le cinéma de Tarantino me semble donc plus calibré que ce que le joyeux bordel que provoque ses personnages semble d'abord indiquer, ceux-ci restent le centre même de sa réflexion cinématographique. Et cette particularité qu'il attribue à chacun de ses films permet de marquer la rétine du spectateur. Un personnage réussi est marquant. Quand ils sont quatre ou cinq à être bien écrit, c'est encore mieux. Et Reservoir Dogs pousse cette réflexion, puisque chacun des personnages possède son propre passé, voir plusieurs identités (ressort qui est merveilleusement bien utilisé pour la découverte du personnage de Mr Orange, (j'y reviendrai)), et sa propre personnalité. En ce sens, un personnage sera plus apte à marquer la rétine du spectateur si ce dernier peut cerner le personnage, par ses actions, ses croyances et sa façon d'être.


Ce qui nous amène sur le casting, puisque pour un film avec autant de personnages prenant chacun une place si importante, le choix des acteurs est une étape cruciale (enfin je suppose, mais ce serait con de bâcler cette étape...). L'avantage d'être aussi taré et dans son monde que Tarantino peut l'être, c'est qu'il sait très certainement qui pourrait correspondre à ces rôles. Le casting de Reservoir Dogs est une tuerie (pas de mauvais jeu de mots). Harvey Keitel est très bon, Tim Roth est royal, Steve Buscemi est parfait dans son genre et Michael Madsen est glacialement génial. De toute la filmographie de son réalisateur, je crois que Reservoir Dogs a le casting le plus réussi (même si Pulp Fiction reste ma référence ultime pour lui) et présentant la meilleure alchimie entre ses personnages.


Bien entendu je n'ai pas souligné les qualités d'écriture du film qui, grâce à sa trame non linéaire et sa sur utilisation de flashback apporte du dynamisme à l'intrigue (et accessoirement poussera cette méthode à son paroxysme pour le chef d'oeuvre qui débarquera deux ans plus tard), ni le découpage du film ainsi que sa mise en scène (autre que le choix du huis clos).
Je trouve, en particulier, la fameuse scène de torture absolument brillante. Il y a bien évidemment l'impro de Madsen, qui est la première chose que l'on retient, mais je trouve le travail sur le choix des plans et sur le son encore plus remarquable. Déjà Stuck in the Middle with You, le titre est suffisamment évocateur pour comprendre que le pauvre policier est mal barré, mais le contraste et le sentiment de mal être est encore plus accentué par les choix de cadre sur chacun des deux personnages. Madsen est filmé de manière plutôt large et en contre plongée. La large permet de constater toute la folie dans laquelle il est plongé (avec la danse toussa toussa) et la contre plongée le rend plus effrayant et dominant. En revanche le policier est cadré serré, en plongée et avec une faible profondeur de champ. La plongée l'écrase littéralement sous le poids de Madsen, et le "combo" gros plan / faible profondeur de champ traduit son état d'esprit. Le léger travelling autour de son visage et le découpage entre les deux plans accentuent un peu plus cet aspect. Madsen s'éclate, le policier semble ailleurs, comme si le spectacle qu'on lui imposait le paralysait. Et paralysait ainsi le spectateur avec lui. La violence de la scène est extrême, brutale même. Pourtant on en voit pas l’incision de l'oreille. Tarantino joue du hors champ et du son pour suggérer l'horreur, et il n'y a rien de plus horrible que de s'imaginer le pire. Et c'est ce qu'il transmet à son public. Un mur. Des hurlements, une musique à contre courant. Il n'en faut pas plus pour que le spectateur craque.


Et puis il y a le plan séquence qui vient après où l'on suit Madsen dehors, jusqu'à sa voiture, sans oublier l'impasse mexicaine finale, véritable apothéose de plus d'une heure et demi d'un spectacle sanglant, et son découpage rapide qui contraste avec la lenteur du plan qui suit la fusillade et l'épilogue du film.


Reservoir Dogs est un premier film d'une maturité et d'une maîtrise absolue qui pose les bases d'un style très particulier et qui porte très clairement les prémices du chef d'oeuvre que ce sera Pulp Fiction. C'est l'oeuvre d'un homme qui aime le cinéma et qui lui rend un très bel hommage. Un grand film, tout simplement.

Strangelove
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le 20 janv. 2016

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