Rien à faire
5.8
Rien à faire

Film de Marion Vernoux (1999)

Il n'y a rien à faire, à part peut-être de s'aimer. Les malheurs rapprochent dans l'adversité. Mais l'amour est l'un des plus grands trieurs sociaux.


Dans la condition d'exploité, il y a foule de dépossessions. Parmi elles, il se trouve la dépossession de sa propre vie privée et familiale. Ah ! ces grands pontes politiciens, surtout de droite traditionnelle mais aussi d'une certaine gauche, nous vantent la valeur famille alors qu'ils la sacrifient, avec la foi puissante des possédants, sur l'autel de la croissance et du profit (nous pourrions allègrement parler des accords nationaux interprofessionnels, du travail le dimanche, de la précarisation, du travail de nuit, des horaires irréguliers, de la pénibilité,etc.). Et même si le plein emploi faisait l'abondance de nos supermarchés transnationaux, il est certain qu'il faudrait encore une fois s'unir dans l'adversité pour regagner les droits qui ont reculés.


Dans ce contexte, cette rencontre entre cet homme et cette femme, exploités et végétatifs, c'est la difficulté de bien s'aimer. Ou de s'aimer bien.
C'est singulier.


Et ce qui est terrible, c'est cette faculté de l'économie à s'immiscer en des lieux, en des moralités où elle n'a pas lieu d'être. Car disons-le, la perte d'emploi et la division arbitraire entre les travailleurs (même pas selon les compétences ou leur aptitude d'intégration en plus !), bref la concurrence entre travailleurs, n'est pas seulement un choix politique, c'est surtout un choix de système ; comme disait Didier Super, être au chômage, c'est permettre aux gens qui travaillent de se sentir bien dans leur peau. Ainsi en est l'usage dans le capitalisme dont l'un des objectifs les plus prégnants est la concurrence et la compétition, pour assurer 1° la pérennité de la propriété privée, y compris de son accession ; 2° la frustration, la culpabilité et la tentation nécessaires dans les rapports de force entre classes.


Ainsi, la femme se trouvant encore séduisante malgré l'épuisement et l'écoeurement d'une vie qui passe à côté d'elle trouve encore quelque confiance en elle. Lentement. Mais avec toujours cette manière pleurnicharde que les bourgeois méprisent. Parce qu'on n'efface pas le poids lourd des années passées à espérer, à vivoter, à regarder la télé par ennui, à se sous-estimer. L'amour, dans ces conditions, n'existe pas vraiment. Il existe toujours mais il est soumis à des lois de pesanteur de l'âme et à des déterminismes. S'aimer parce qu'on est collègues de bureaux ? Alors pourquoi pas s'aimer parce qu'on est privé d'emploi et de toute utilité publique ?


C'est le défi de ce film, et scène après scène, jouée par un comédienne professionnelle (chose ô combien problématique), il apparaît triste et possible. Il ouvre une brèche sensible sans entrouvrir la beauté, sinon celle du jeu. Pas de niaiserie, c'est la force aussi de cette oeuvre qui, si elle ne se retient pas vraiment, est bien faite.


Pas d'enthousiasme donc, ce serait malvenu, mais simplement l'observation objective du désastre économique à l'intérieur de cet amour différencié par l'obtention d'un... emploi.
C'est toute une difficulté à saisir : avoir un emploi, c'est pouvoir profiter de l'être aimé en ayant des activités, c'est avoir des compartiments dans sa vie, des espaces où l'on est avec l'être aimé et où l'on n'y est pas. Cela coûte de l'argent, l'amour. En revanche, ne pas avoir d'argent, du moins pas suffisamment, être privé d'emploi (qu'on en cherche ou pas, ça reste une privation et une frustration proche de la dictature), c'est vivre une relation confinée et qui macère dans une vie à deux sans espace, où tout est mélangé et à cran.


Et ça, de montrer ça, ce visage plein de pitié qui retrouve peu à peu le chemin des illusions sentimentales, profiter des circonstances pour se refaire une santé d'être humain, une dignité en somme, cela vaut le coup de regarder et de se souvenir de ce film comme d'un amour assez singulier.

Andy-Capet
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le 26 nov. 2014

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