Curieusement, l'univers bourgeois et intellectuel de Woody Allen n'avait que rarement entièrement rencontré le cinéma comme sujet à part entière, là où les personnages d'universitaires ou de romanciers constellent ses films. Pourtant, le cinéma est souvent fragment de son œuvre, sorte de fantôme qui hante tous les plans dans ses inspirations et ses aspirations: dans Annie Hall, c'est au cinéma, le lieu, la salle, que l'on se rend pour se ressourcer, dans Un jour de pluie à New York c'est un réalisateur qui séduit momentanément Elle Fanning, etc. Rifkin's Festival, après quelques années de vide allenien, pandémie et scandales hollywoodiens obligent, s'y confronte cette année pleinement, à travers le lieu, la figure par essence bourgeoise du festival de cinéma, mais en prenant la trajectoire inverse de La Rose pourpre du Caire. Si dans celui-ci les personnages sortaient de l'écran pour rentrer dans le film, autrement dit c'est le cinéma qui entreprenait le cinéma directement, ici c'est le film qui rentre dans le cinéma, Mort, prisme de l'éternel penseur cynique et pince sans rire allenien, qui rentre dans les films, tout en arrivant au festival.


Toute la construction narrative du film se base donc sur ce procédé: Mort voit des films au festival et se confronte à des rencontres, plus que de les rencontrer justement, et au mieux de nous montrer les films vus, à quelques exceptions, Allen revisite des grands classiques du cinéma (européen) en y mettant une dose d'inconscient freudien, les rencontres influant sur ces rêves éveillés.

Cette manière de faire a de quoi intéresser: les séquences de (dia)logues vains et complaisants entre Mort, sa femme, attachée de presse, et le réalisateur en vogue interprété par Louis Garrel cèdent, d'abord de manière savoureuse, il faut le reconnaître, à de pures visions cinématographiques. Ces spectres filmiques semblent comme hanter le personnage, reprenant le dessus sur un milieu qui finalement n'a rien à proposer autre qu'un verre de rosé. Mais à force de nous rabâcher les mêmes références convenues (Welles, Truffaut et Bergman entres autres), Allen se perd lui-même dans un tourbillon filmique qui a pour point central un vide sommaire. Car quel cinéma alors apercevoir dans Rifkin's Festival?


En plongeant ces images cultes dans son œuvre, Allen les vide de leur sens, de leur beauté même, prises d'assaut par son récit habituel. En effet, si le cinéaste se plaît à critiquer un milieu de plus en plus hostile à son égard, à grands renforts des stéréotypes habituels, sans même laisser apercevoir un véritable cinéma «artistique» (comme il le souligne incessamment) autre que celui des «grands maîtres européens» d'antan, les quelques saynètes qu'il construit en contrepoint n'ont guère de quoi ravir.

Il en va ainsi des amourettes des plus artificiels (cette jeune médecin fan de Godard et des mêmes «grands maîtres européens» par coïncidence) qui traînent Mort en dehors du festival dans tout San Sebastian, et de son personnage lui-même, qui, non seulement est l'habituel new-yorkais, mais surtout pâti de l'absence d'Allen lui-même en acteur. Celui-ci avait le mérite de donner du cœur à ses rôles, de la conviction, d'autant plus que cette inquiétude existentielle omniprésente semblait transpirer de son corps, comme une anxiété nerveuse qui rongeait son esprit et le poussait à la gesticulation, physique ou surtout verbale. Ici, Wallace Shawn porte avec peine un personnage absolument pas taillé à sa carrure, et débitant platement des banalités, sans aucune passion. Le spectateur européen a alors de quoi avoir honte lorsque de tels éloges de son cinéma continental se traduisent dans un tel sommet de médiocrité dans la filmographie d'Allen. Son incapacité à produire de nouvelles images, même avec Vittorio Stattorio en directeur de la photographie, dont on se souvient du travail sur Wonder Wheel et sa beauté incandescente, apparaît flagrante.


Finalement, Rifkin's Festival pourrait ainsi bien être un pur film de festival. Non pas dans le sens généralement admis et quelque peu galvaudé, qui englobe, du drame portugais au cinéma de genre américain, tout film d'auteur apprécié par une niche, mais bien en tant qu’œuvre «vue» en festival: entre deux spritz, avant un apéritif ou après une soirée, en riant faussement de soi, tout en sachant que les images ensoleillées, oubliables, se dilueraient progressivement dans l'alcool des vers à cocktails.

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le 19 juil. 2022

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