La belle, le shérif, l'ivrogne et l'estropié

En matière de western, "Rio Bravo" est un grand classique du genre bien que, avouons-le, il ait pris un léger coup de vieux. Léger, hein ! Malgré tout, on lui reconnaîtra bien des qualités, et bien peu de défauts. Pour tout dire, question défauts, je n’en vois pas. Ou peu. Mais alors très peu. Vraiment très très peu. Et pourtant, comment lui donner la note maximale alors que d’autres films du genre ont été plus marquants encore ?
Mais revenons si vous le voulez bien sur les qualités. D’abord l’entame : magnifiquement mise en scène, elle offre l’avantage de présenter les deux personnages principaux et de planter le décor sans que le moindre mot ne soit prononcé. En effet, les premières répliques ne font que verrouiller solidement tout ce qui va constituer le corps de l’intrigue. Après ce n’est que du tissage, mais quel tissage !
On pourra déceler une pointe d’humour, et ce qui est remarquable, c’est qu’il est tout en finesse. Et ça commence par le duo John Wayne/Dean Martin quand le second tente de saisir l'insaisissable bouteille tendue par le premier, simplement parce que le shérif est en grande discussion avec son adjoint. Dès lors, le trio est né et sera dénommé comme suit : « un shérif, un ivrogne et un vieil estropié ». A partir du moment où on a pris connaissance de ce trio, l’humour sera lié presque exclusivement à Stumpy, incarné par un certain Walter Brennan, décidément très en forme pour faire de son personnage un vieux de choc qui n’a pas sa langue dans sa poche. En ce qui me concerne, il constitue mon personnage préféré du film tant il a su faire preuve de naturel, de spontanéité, allant jusqu’à sursauter de surprise quand il apprend où il se trouve lors de la fusillade finale. En somme, il en a fait un personnage résolument attachant. Et surtout on retient de lui une réplique que je considère culte et qui résume à elle seule la psychologie du personnage : « je vais pas réparer cette porte […] je vais réparer la porte ». A cela on ajoute quelques savoureux dialogues de sourds et quelques pleurnicheries risibles. Pour tout dire, je serai même tenté de dire que Brennan vole presque la vedette à Dean Martin et John Wayne.
Pour ce qui est de ces deux-là, John Wayne fait du John Wayne, impeccable comme à son habitude, avec une petite touche de gentleman-attitude doublée d'un côté un tantinet bourru maladroit devant la gente féminine. Il faut dire qu’Angie Dickinson apporte un peu de charme dans une intrigue où les femmes n’avaient pas vraiment leur place, tout en montrant un sacré caractère et une obstination quelque peu salvatrice. Par elle le trio se transforme en quatuor. Quant à Dean Martin, son jeu peut paraître parfois un peu trop théâtral, un poil trop démonstratif. C’est peut-être là que pourrait se trouver le seul reproche concernant le jeu d’acteur.
Seulement voilà : au gré des événements, le quatuor va s’enrichir d’un cinquième larron en la personne de Colorado, interprété par le jeune Ricky Nelson. Ce dernier excelle dans le jeu du jeune qui sait que rien ne peut lui arriver sans pour autant se mêler des affaires des autres, tout en apportant une vision des choses quelque peu nouvelle et qui va permettre à notre groupe de se sortir d’une situation très compromise (ah ben oui, on sait plus ou moins comment tout ça va se terminer).
Pour ce qui est de cette situation, on aurait pu (dû ?) sentir davantage de tension. De ce point de vue-là, elle s’est faite beaucoup plus sentir dans "Le train sifflera trois fois" grâce aux plans sur une horloge égrenant inlassablement les secondes les unes après les autres. Pourquoi cette tension aurait-elle pu être plus importante, à défaut d'être insoutenable ? Difficile à dire, il y a tant de bonnes choses dans ce film. Mais peut-être est-ce dû à un méchant sous exploité. Car quoi qu’on en dise, le fameux Nathan Burdette (John Russell)… eh bien on ne le voit que très peu à l’écran ! Normal me direz-vous puisqu’il se cache derrière les primes mirobolantes distribuées à ses hommes. Alors certes, on sent cette tension, mais j’en attendais plus. A tort ou à raison ? Ma foi je serai bien incapable de répondre à cette question. Mais ce que je peux dire en revanche, c’est que j’attendais davantage de tension par rapport à la population locale qui attendait discrètement l’affrontement annoncé, et c’est justement un point supplémentaire qui illustre tout le génie du scénario : montrer au grand jour la curiosité malsaine et morbide de gens sans cesse en quête de sensationnalisme, pour la bonne et simple raison que ça change de leur quotidien.
Et puis ensuite il y a cette musique, notamment la chanson mexicaine jouée pour donner une dimension inquiétante au siège de la prison, siège qui n’en est pas vraiment un d’ailleurs, du moins pas au sens strict du terme. Mais c’est là un petit clin d’œil fait au siège de Fort Alamo, sujet sur lequel John Wayne va se pencher rapidement. Pour résumer, "Rio Bravo" est un excellent western fait dans les règles de l’art de l’époque, avec une technologie technicolor qui a vite fait de replonger le spectateur dans le charme suranné du cinéma des années 50/60.

Stephenballade
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le 31 déc. 2020

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