Autant jouer franc jeu : RoboCop 2014 est une déception. Déception pour les fans du classique de 1987, bien sûr, mais aussi pour les accros au bashing qui voyait en ce film une cible facile. Car, ne nous voilons pas la face, ce remake fut condamné par le public et la critique avant même sa sortie en salles. Il y avait de quoi faire la tronche, mine de rien : une armure noire d'une laideur sans nom, des scènes d'action insipides et une musique incapable d'arriver à la cheville du score immortel de Basil Poledouris laissaient présager un total ratage. Seulement voilà, si le long métrage n'est pas "jojo" sur la forme, il a oublié d'être aussi décérébré que les 3/4 des blockbusters actuels.
Repartons de là où tout a commencé : l'opus séminal de 1987 de Paul Verhoeven reste encore aujourd'hui un film cristallisant à lui seul ce nouvel "âge d'or" qu'ont été les années 1980. Sur la forme, il représente ce qu'il se faisait de mieux en terme d'effets spéciaux (l'armure imaginée par Rob Bottin, la stop motion de Phil Tippett...). Sur le fond, c'est un sévère manifeste contre l'America is back de Ronald Reagan (personnifié par la figure patriarcale de Dan O'Herlihy), sa politique de privatisation à outrance et l'émergence de ce qu'on appelait les yuppies. Le réalisateur hollandais s'est même payé le luxe d'y introduire ses obsessions envers la figure du Christ, transformant l'histoire d'Alex Murphy en véritable chemin de croix.
Pour son remake, le réalisateur brésilien José Padilha (Troupe d'élite 1&2) évite de foncer tête baissée dans une adaptation vide de sens (tel Len Wiseman sur Total Recall) et décide de conserver le discours politique qui animait son illustre modèle tout en l'ancrant indéniablement dans notre époque. Dès la scène d'ouverture, le ton est donné : on y voit un show télévisé (un JT ?) relatant le combat des ED-209 en pleine guérilla au Moyen-Orient. A travers cette scène, on pense à diverses dérives de notre société : les "news" sensiblement orientées des chaînes TV type Fox News (en France, ça s'appelle BFMTV), la mise en scène des informations ou encore les connivences entre industriels et partis politiques. Le scénario s'offre également une charge contre la politique de développement des drones chère à Obama (l'intégralité du film peut d'ailleurs être interprété comme telle) ce qui nous laisse supposer que le choix de Samuel L. Jackson en Oncle Sam télévisuel n'est pas anodin. La création de RoboCop vaut également son pesant de cacahuètes : présenté comme un homme doté de prothèses — parce que l'utilisation de robots de sécurité est interdite aux USA — notre héros se voit déshumanisé au fil du long métrage. Une assez juste représentation de notre époque, où l'on nous vend des produits high-tech tout en axant leur communication sur "l'aspect humain" (l'application Siri, ça vous dit quelque chose ?). Quant à l'armure horrible de notre justicier (en partie justifiée par l'intrigue), elle est choisie lors d'une réunion marketing en fonction des goûts du public ("Les armures transformables ? Les enfants adorent !"). Dans le rôle du PDG véreux au comportement de rock star, on retrouve Michael Keaton en simili-Steve Jobs "customisant" son super-flic tel un IPhone. Car RoboCop est indéniablement un gadget contemporain, connecté en permanence en Wi-Fi au réseau de caméra-surveillance et aux fichiers de criminels en fuite, histoire de nous rappeler gentiment que les régimes policiers et totalitaires ne sont plus de simples délires orwelliens.
Passé ses prétentions de brûlot politique, le film reste cohérent dans son récit (à défaut d'être réellement inspiré) et propose même son lot de scènes marquantes, en particulier celle où le Dr. Norton (Gary Oldman dans une version totalement réinventée du personnage) montre à Murphy le "reste" de son corps, sans le plastique et la ferraille. Traumatisant !
Mais que l'on se rassure, le film possède tout de même pas mal de ratés à commencer par un méchant totalement caricatural et dépourvu de personnalité. Certes, la multinationale OmniCorp (ex-OCP) est devenue le principal adversaire de Murphy dans cet opus, mais il n'empêche qu'on aurait préféré un personnage plus charismatique. Les scènes d'action, quant à elles, ont beau être tournées caméra à l'épaule (ce qui convenait parfaitement à la rudesse de Troupe d'élite), elles ne dégagent aucune émotion et se montrent graphiquement bien trop sages (damned PG-13!). On regrette les morceaux de bravoure mis en scène avec minutie auxquels nous avaient habitué Paul Verhoeven, John McTiernan ou encore James Cameron, dans les années 80. En parlant du réalisateur de Terminator, il a bien dû faire la tronche (ou rire dans sa barbe) en découvrant que la scène du réveil de RoboCop était une resucée d'un segment analogue de son Avatar.
Des défauts flagrants qui prouvent qu'il y a une justice dans ce bas monde, mais malgré ces quelques écueils, rien à faire : RoboCop n'est pas la purge annoncée. S'il s'avère bien souvent insipide sur la forme et incapable de rivaliser avec le monument de Verhoeven, il demeure probablement un blockbuster pas si con, voire même le plus politisé depuis Starship Troopers.