Il me manque le cinéma de Paul Verhoeven, ce spectacle choc et profond qui fusionnait l’action violente et graphique (mais non gratuite) et le bon (si ce n’est le meilleur) traitement des thèmes de la S-F. Et Robocop est tellement dense !


La S-F n’est pas tant un moyen de projeter notre avenir que de réfléchir notre présent ou comme qui dirait : « Le futur c’est maintenant ».


Dans ce futur dystopique, l’Etat et son pouvoir régalien ont disparu (pouvoir qui dans une démocratie qui fonctionne à peu près normalement résulte des citoyens) au profit d’une méga entreprise qui régit maintenant tous les aspects sécuritaires de « la cité » mais qui pourtant ce fout royalement de sécurité publique (donc des policiers et des autres citoyens) jusqu’à l’émergence d’une perspective de profit avec le projet urbain mégalo du grand patron (les dérives à outrance du libéralisme économique ?).


Mais le Cartel est comme toute grosse entreprise qui (ne) se respecte (pas), un super prédateur opportuniste qui pour répondre à l’insécurité qui gêne cette perspective, va voir s’affronter deux connards arrivistes dans leur « tour d’ivoire » dans l’élaboration du meilleur projet sécuritaire et pour qui l’homme n’est qu’une marchandise comme les autres ou pas comme les autres (trouvez la référence). Et dans cette société les voyous sont aux deux extrêmes de la pyramide et n’ont aucun mal à s’associer dès lors que l’intérêt est le même : le pognon ! Une société où lorsque l’on est au sommet du pouvoir on pourrait avoir pour devise « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » (Directive 4)


On attend donc que le premier flic du coin se fasse buter pour donner naissance à une chimère mi-homme mi- machine où le corps devient objet de profanation dans la plus pure tradition du transhumanisme cyberpunk. On ne cherche pas à aider des policiers dépassés mais à les remplacer, là encore comme dans toutes bonnes entreprises qui voudraient réduire les coûts, avoir le contrôle et avoir une efficacité maximum (finit les grèves, les pauses pipi branlettes syndicales et les jours de repos hebdomadaires ! Le fantasme caché de tout (bon?) patron !)


Mais comme toute création, il y a le moment où elle va échapper au contrôle de son dieu-créateur, le moment où s’engage le combat intérieur entre la machine et sa partie humaine (ses souvenirs, ses émotions) et le moment où devenue gênante on veut l’éradiquer sous un bon déluge de feu ! Ce Robocop n’est autre qu’une adaptation moderne et réussit de Frankenstein ou le Prométhée moderne.


Lorsque le côté humain et émotionnel de Robocop reprendra le dessus sur une loi froide, impersonnelle et machinale au service d’une direction corrompue, le cyberflic s’engage dans une croisade à la limite de la vengeance ou de l’auto-justice particulièrement dans le dernier acte. Conflits d’intérêts et conflit intérieur entre ceux de l'humain et la machine, séparation des pouvoirs…


A la fin "l’ange déchu" de l’entreprise est renvoyé manu militari du "paradis" et la création est devenue l’entière propriété intellectuelle et physique du grand patron après l’élimination des "jeunes loups" concepteurs prétendants qui visaient la place suprême. Robocop devient l’ange Michael au service de Dieu, de la loi et l'ordre, dans son projet de création d’un nouvel éden urbain.


Un véritable objet de réflexion sur l’homme soumis au contrôle.


Chez Verhoeven, la violence se doit d’être violente, ça choc, et ce n'est pas gratuité car au service de thématiques qui traitent de l’humain et en ce sens la violence ne doit jamais être anodine.
Et le spectacle est pourtant tellement jouissif qu’il nous interroge surtout sur notre capacité à aimer consommer de la violence (et le sexe, bien que cet aspect soit moins présent dans ce film). Mais c’est aussi un moyen de nous faire ressentir la dramaturgie de façon plus intense. Quelle jouissance de voir Robocop défoncer les méchants après les saloperies subies !


Et le « hollandais violent » arrivera à nous faire aimer la violence et le fascisme sans que l’on se rende compte de rien ! Mais de toute façon quand ça te tombe dessus tu ne te rends compte de rien et comment ne pas jouir de plaisir devant ce final ! A l'instar du conflit intérieur qui agite Robocop s'ensuit un conflit intérieur dans l'esprit du spectateur où la jouissance efface la morale. Starship Trooper qui a justement été injustement décrié en son temps comme une œuvre fasciste par certains crétins est en réalité une grosse critique du fascisme car Verhoeven est assez malin pour prendre le spectateur en otage et l’amener face à ses propres démons. Du très grand art que Verhoeven avait initié avec ce Robocop.


Bref, bien loin de toutes ces saloperies de S-F sans goût ni saveur que l’on nous sert à la louche aujourd’hui, Robocop c’est du vrai spectacle de S-F intelligent. J’en prendrai pour un dollar !

Altharil
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le 17 juin 2018

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Altharil

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