Deux nouveaux films avec le monstre (désormais dans tous les sens du termes) Depardieu en deux semaines, les cinéphiles sont gâtés… même si l’actualité désolante du moment laisse craindre que la sympathie du public ne soit plus acquise au plus russe des acteurs français !


Et comme "Maigret" la semaine dernière, "Robuste" prouve que Gégé n’a rien perdu de son immense talent, qui a même frôlé à plusieurs reprises au cours de sa carrière le véritable génie. « Génie » est certes un terme souvent galvaudé, mais qui vient à l’esprit quand on voit son travail, en particulier dans ce premier long-métrage de Constance Meyer. Bien sûr, on nous rétorquera que, cette fois, Depardieu n’a rien à jouer, puisque le rôle de Georges, cet acteur au bord du gouffre, tant physique (excès de poids, crises d’angoisse) que psychologique (il se comporte alternativement comme un enfant en demande d’affection et comme un désespéré en fuite permanente), ressemble salement à un autoportrait : il n’empêche que Depardieu habite ce rôle avec une intensité qui reste l’apanage des grands, entre auto-dérision efficace – puisqu’on rit régulièrement devant Robuste – et mise à nu tremblante de l’inavouable.


« Difformes mais beaux », comme ces poissons des grandes profondeurs que contemplent George et Aïssa (une Déborah Lukumuena assez phénoménale elle aussi…), les deux personnages principaux de "Robuste" trimbalent à l’écran leur physique « hors normes cinématographiques » en se tournant autour, en se séduisant et s’admirant mutuellement, sans jamais réellement se rencontrer. Le film sera donc la chronique magnifique, mais aussi frustrante, de ce faux combat de titans, qui ne s’empoigneront jamais comme sur les tapis de lutte sur lesquels officie une Aïssa qui perd peu à peu sa « rage » en réalisant la magie de la douceur et de l’abandon.


Le thème de "Robuste" est dangereusement proche de celui de "Intouchables", puisqu’on parle d’un riche homme blanc incapable d’affronter seul l’existence, dont va s’occuper quelqu’un d’origine sociale bien différente, et de l’apprivoisement mutuel de ces deux personnes « en difficulté ». C’est clairement un problème, puisque le spectateur va attendre forcément les mêmes scènes « feelgood » qui n’arriveront jamais ici, tandis que Meyer s’est probablement forcée à justement éviter le plus possible cet effet d’écho : l’inévitable frustration que l’on ressent à la fin (une fin suspendue, mais joliment, sur le mot « enfant ») du film confirme que Robuste aurait pu, aurait sans doute dû oser aller plus loin dans la rencontre – ici quasi avortée – de ces deux êtres aussi robustes physiquement que fragiles émotionnellement.


L’une des plus belles scènes du film, celle du restaurant chinois, a enfin le courage de montrer une confrontation entre Aïssa et Georges, ne serait-ce qu’à travers la présence d’un troisième personnage qui sert de relais à la parole, à l’amour. Il manque au film 15 minutes supplémentaires qui aillent plus loin dans ce sens : "Robuste" serait peut-être devenu un objet moins singulier qu’il ne l’est aujourd’hui, mais aussi un film plus réussi, plus marquant.


[Critique écrite en 2022]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/03/04/robuste-de-constance-meyer-fragiles/

EricDebarnot
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le 4 mars 2022

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Eric BBYoda

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