16 ans plus tard Rocky revient pour un dernier round. Une fois de plus, à travers son célèbre boxeur, Stallone nous parle de lui, de sa carrière, de sa place dans l'histoire du cinéma américain. Vivant toujours dans les quartiers modestes de Philadelphie depuis la fin du dernier opus, il tient désormais un restaurant à la gloire de son parcours. Veuf, comme le montre l'une des toutes premières séquences au cimetière, adieux déchirant à Adrian qui a tant porté Rocky, il vit de sa gloire passée. Son restaurant n'est rien d'autre qu'un musée à sa personne. Ni retraité, ni sportif sur le déclin, il est à présent une statue de cire, vivant en boucle les hauts faits de son passé. Il est un mythe, emprisonné dans sa routine, racontant les mêmes anecdotes aux chalands qui s'empressent de lui serrer la poigne et le prendre en photo. Que reste-t-il aujourd'hui de ces glorieuses années ? Le dernier grand film de Stallone, Copland, a déjà dix ans. Rocky et lui sont momifiés par leur image. Le cœur lourd, ayant des choses à raconter, à expulser, un ultime combat se profile à l'horizon.
Et Rocky de revisiter, nostalgique, les lieux qui l'ont érigés en légende. Ce n'est pas le même son de cloche du côté de Paulie qui «ne peux plus vivre ça». Son fils confirmera en évoquant un temps qui nous rattrape tous. Pour Balboa il faut désormais tourner la page de cette époque, créer un nouveau présent. C'est avec Marie, ancienne jeune connaissance du premier film, qui a grandi depuis, que se tisse un lien, entre miroir déformant du passé et envie d'aller de l'avant, comme substitut au vide laissé par Adrian. Dans le même temps il ne peut toujours pas échapper à l'ombre gigantesque qu'il laisse planer sur son fils. Les enjeux du cinquième opus ne sont toujours pas réglés. Peter Petrelli cherche sa place, n'existe qu'à travers le nom de son père. Plus que de fuir ou d'être l'opposé de son paternel, leur conversation en pleine rue gelée et déserte de Philadelphie sonnera comme un uppercut. Ne plus éviter l'ombre, mais l'embrasser, faisant de son nom non plus un handicap mais une force.
Le rapport à la technologie a évolué depuis 1990. Le script du film l'a bien saisi et surfe sur les modes numériques de son époque. Un logiciel fait s'affronter des boxeurs de toutes époques et simule les résultats grâce à une foultitude de statistiques en tout genre (poids, force, main forte …). Alors que le champion du monde poids lourds en titre, au cours d'une émission, est donné perdant face à Rocky Balboa, tout s'accélère. Les promoteurs cupides s'empressent de monter ce combat, vendu comme une exhibition. Le rival entend bien démontrer sa supériorité face à un ancien de soixante balais. Profitant d'un retour acclamé et d'un réel soutien populaire, est-ce une façon pour Stallone de confronter deux époques, deux styles de cinéma différents ? Lui qui a été une gloire, désormais un peu oubliée, des deux dernières décennies, cherche-t-il à légitimer le retour d'un cinéma à l'ancienne face aux nouvelles technologies numériques ? Tourné en 35mm à une époque où les caméras numériques sortaient petit à petit de leur ghetto, le rendu permet à la matière d'exister, aux corps d'être incarnés. Il pousse cette logique dans ses derniers retranchements lors de l'affrontement final. Son adversaire du soir est boxeur poids lourds, Antonio Tarver, et Stallone profite d'un vrai match de boxe, appuyé par un public et une retransmission télévisuelle pour capter le premier round dans les conditions du direct. Jamais la recherche de réalisme n'avait été poussée aussi loin. Les trois premières minutes sont tout simplement un authentique combat de boxe, où les coups et la sueur sont véridiques.
Suivent alors des rounds mis en scène comme la saga a su si bien le faire depuis trente ans. Et Stallone de livrer à nouveau un montage sensitif dont il a le secret, où, abasourdi sous une pluie de poings, il a recours à un enchaînement vertigineux de moments passés, où se mélangent pêle-mêle Appolo, Drogo, Mickey, Adrian ou encore ses séances d'entraînement. C'est un maelstrom d'images qui déferle, des flash aveuglants au noir et blanc, sans oublier les zooms, les ralentis et le montage cut. L'Histoire de Rocky s'écrit sous nos yeux. Et quand la cloche finale résonne au bout des dix rounds annoncés, c'est un boxeur au sourire lumineux qui enlace son adverse, le remercie pour ce dernier frisson, cet ultime combat. Quittant le ring sans attendre le résultat des jurés, Rocky s'est retrouvé et s'est accompli le temps d'un match, donnant une nouvelle leçon d'humilité et d'abnégation à soixante ans passés. Libéré de cette bête intérieure comme il le confiait lui-même à Paulie, c'est un homme apaisé qui peut enfin quitter le monde de la boxe/du cinéma par la grande porte. Et Stallone d'icôniser son boxeur fétiche pour la postérité lors de ce freeze frame final, où la main tendue d'un spectateur agrippe celle de Rocky. L'union sacrée entre Rocky/Stallone et son public est indéfectible. Plus qu'un homme, Rocky fut, est, sera toujours un symbole, une idée. Et les idées ne meurent jamais.