A l'image d'une carrière de boxeur, quinze années séparent cette opus du premier. Après avoir tutoyé les sommets du sport et du box office (record pour l'épisode précédent avec 300 millions de dollars de recettes), il est temps pour Rocky de raccrocher les gants. Sylvester Stallone sait mettre à profit le temps qui passe, alimentant la fresque de son personnage fétiche. Que raconter après l'ascension, le doute, la gloire, l'échec, le succès et la mort ? Tout simplement la fin de Rocky. Bien que la saga ne donne jamais vraiment l'âge réel de son personnage on sent le poids des années et les évolutions qui vont avec. Boxeur raté à en devenir, espoir montant, confirmation puis père de famille et sportif sur le déclin, Rocky traverse le temps, évolue, change. Ce film ne fera pas exception à la règle. Après un combat opposant deux forces de la nature, les premières séquelles apparaissent pour le boxeur américain. Transi de froid, pris de convulsions, son corps est en train de l'abandonner. Des examens mettent en avant des lésions aux cerveaux irréversibles dues aux impacts répétés pendant des années. Dans le même temps, de manière très artificielle, le récit condamne Paulie en irresponsable après avoir ruiné la famille Balboa. Il aurait, hors champ, donné toutes les autorisations au comptable du clan, ce dernier se révélant être un escroc. Après une mise aux enchères d'objets de valeur et étant dans l'incapacité de remonter sur un ring, retour à la case départ pour tous, retour au quartier des origines, retour aux sources du premier film.


Mais cette fois c'est en tant que combattant affirmé, au crépuscule d'une grande carrière. Sa nouvelle situation s'ébruite et ne tarde pas à rameuter vautours et profiteurs. C'est l'occasion pour Stallone d'aborder une nouvelle facette de la discipline. Esquissée lors des précédents opus il s'attaque désormais frontalement à la boxe business, où des promoteurs cupides et véreux battissent des carrières sur du vent et organisent des combats à seule fin lucrative. Arrive ainsi le vrai antagoniste de ce cinquième film, George Washington Duke, alter-égo non feinté de Don King, ayant connu un grand succès des années 70 aux années 90. Il a notamment planifié le célèbre match entre Mohammed Ali et George Foreman en 1974 au Zaïre. Sauf que derrière cette réussite apparente se cache un personnage beaucoup plus trouble. Débutant en tant que bookmaker il bat à mort l'un de ses débiteurs et purge quatre ans de prison. Il flaire le filon de la boxe à sa sortie et lancera sa carrière grâce à Ali. Derrière ses plus célèbres combats se cachent de nombreux soucis avec le fisc américain ainsi que des liens avec certaines familles de la Cosa Nostra à New-York. Personnage controversé il est ici représenté sous les traits de Richard Gant, affublé de la célèbre moustache du promoteur de Cleveland et déclamant à plusieurs reprises son célèbre «Only in America». C'est armé de son chéquier et de sa gouaille agressive qu'il tente de faire signer Rocky.


En parallèle de ces attaques contre l'argent corrupteur du sport, Stallone greffe la question de l'héritage, filiale ou non. Dorénavant de retour comme entraîneur dans le gymnase qui l'a vu naître, il suscite à son tour des vocations. C'est ainsi qu'apparaît Tommy (c'est moi qui ai la plus grosse) «The Machine» Gunn, jeune boxeur affamé de victoires qui voit en Rocky le mentor qu''il n'a jamais eu, lui l'orphelin des rues. Incarné par Tommy Morrison, boxeur dans la vraie vie et champion du monde poids lourds en 1993, qui connaîtra une rapide descente aux enfers suite à un test VIH positif en 1996, Balboa voit en ce kid enragé et fauché un miroir de lui-même vingt ans plus tôt. Après hésitation il le prend sous son aile pour lui donner la chance qu'il aurait aimé avoir. Dans le même temps son fils Junior est complètement paumé. Lui qui a grandi dans le luxe et l’opulence se retrouve déclassé parmi les prolos de Philadelphie. A son nouveau mode de vie s'ajoute l'héritage du nom. Comment s'adapter sans être écrasé par l'ombre paternel ? Qui devenir, qui être si ce n'est une imitation juvénile de son géniteur ? Sentant le lien qui se tisse entre Tommy et son père, cherchant l'attention de ce dernier, Junior ira fièrement déboîter la mâchoire de ceux qui le harcèlent, ses poings comme symbole d'une filiation réussie. Mais face au désintérêt de son père il rompt le lien qui les unissait.


Toute cette tension accumulée explose lors du repas de Noël, fête des valeurs du partage par excellence. Duke a signé Tommy à qui il a promis une ascension rapide et lucrative tout en cherchant à faire combattre à nouveau Rocky dans un combat historique. Il détruit les les liens, crée les inimitiés pour assouvir sa cupide grandissante. Junior de son côté se transforme en loubard de pacotille en pleine crise adolescente. C'est dans la maison familiale des Balboa que les rancœurs éclatent. Alors qu'il parvient à se réconcilier avec son fils, la soif de succès de Tommy et l'avidité de Duke sont trop fortes pour faire marche arrière. Tandis que l'un est frustré de son manque de popularité malgré ses succès, le second n'a de cesse de monter son poulain contre son ex mentor, espérant organiser le combat du siècle. Pris à parti par son ancien élève dans un bar, Rocky cède et affronte Tommy dans la rue, sous les lampadaires blafards de Philadelphie. Brillante idée mise en scène par Stallone de sortir du ring habituel pour plonger dans les rues délabrées de la ville. L'affrontement est à l'image de l'état psychologique de ses personnages. Rocky, qui croit avant tout aux valeurs de son sport, à l'abnégation, à la souffrance, à une réussite à la sueur du front fait face à l'argent facile et à la gloire sans péril, des vertus dignes du caniveau. Dénués de leurs artifices, il ne reste que deux hommes se foutant sur la tronche pour leurs convictions, dans un combat digne des meilleures compilations d'affrontements de clochards qu'à pu nous offrir internet depuis.


Encore plus que les précédents opus, Rocky 5 a été amputé de trente minutes. Une longueur justifiée au vu des nombreux sujets que brasse le long-métrage. Ce devait même être l'opus final pour Rocky, succombant à ses blessures lors du combat final. Les producteurs changent finalement d'avis. Furieux, John Avildsen (réalisateur du premier film) quitte le tournage. Stallone réécrit la fin et la tourne lui-même. Opus le moins aimé de la saga, il est pourtant l'un des plus riches, abordant les thématiques de la boxe business, l'héritage ou encore les conséquences physiques et financières d'une fin de carrière. Clairement ringard par moments ; l'incroyable coupe mulet de Tommy, cette ridicule boucle d'oreille pseudo rebelle portait par Junior ou encore les beats datés de MC Hammer, le film méritait un scénario plus solide, un réalisateur plus talentueux à la barre et cinquante minutes de plus au compteur. En l'état il reste un formidable brouillon, véritable chant du cygne pour le mythe Rocky. Mais est-ce vraiment la fin ?

PowerSlave7
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le 4 déc. 2023

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