Roujin Z
6.8
Roujin Z

Long-métrage d'animation de Hiroyuki Kitakubo (1991)

La vieillesse est un naufrage technologique

Roujin Z est un film au sujet d'une thématique encore importante de nos jours : comment la société moderne et néolibérale conçoit le service à la personne âgée, notamment en terme de suivi médical et personnel.


Dans ce film, le Ministère de la Santé Publique du Japon a eu une idée révolutionnaire : dans le cadre d'un partenariat avec une grande entreprise privée de construction robotique et d'intelligence artificielle, il dévoile au monde le tout premier prototype de "lit médicalisé autonome" : Toilettes, examens médicaux, repas, exercice physique, divertissement : tout le confort de la vie moderne de façon totalement automatique et ce, sans jamais quitter le lit. Sauf que bien entendu, tout ne se passe pas comme prévu... Et le lit se révèle en réalité un prototype de robot militaire, commençant rapidement à semer la terreur dans les rues de la ville.


On pourrait penser qu'un film de science-fiction sorti en 1991 aura nécessairement mal vieilli en 2021, soit 30 ans plus tard !
Et il est vrai qu'au sujet des rares effets spéciaux utilisés dans le film, notamment pour représenter les systèmes informatiques, leur caractère forcément un peu désuet (compte tenu de l'époque) rappelle les balbutiements de la CGI au cinéma, comme dans des films plus grand public tels que Terminator 1 (1984) ou encore Star Trek II: The Wrath of Khan (1982) par exemple (probablement dû à un modeste budget).


Mais outre ce détail, le style de dessin volontairement épuré d'Otomo lui procure un caractère indémodable. De plus, ce dernier brille une fois de plus, après avoir dessiné, puis réalisé le film culte Akira en 1984, par son aptitude à représenter tous les minutieux détails de machines extrêmement complexes, intrications anarchiques de câbles, de tubes et de morceaux de métal hétéroclites qui donne leur apparence si particulière à ses robots (pour le coup, Otomo n'a pas réalisé Roujin Z mais a quand même planché sur l'histoire et les designs).


De plus, examiné à l'aune du vingt-et-unième siècle, là où Roujin Z reste pertinent et intéressant encore aujourd'hui, c'est sur son traitement des nouvelles technologies. Car en regardant Roujin Z en 2021 on remarque trois types de technologies présentées :



  • Celles qui, en 1991, faisaient partie de la vie quotidienne, mais qui tombèrent totalement en désuétude par la suite. Téléphones filaires en bakélite, écrans cathodiques, disquettes... Tout ceci faisait partie de la vie de tous les jours en 1991

  • Celles qui, en 1991, relevaient de la science-fiction mais qui sont aujourd'hui monnaie courante. Il paraissait incroyable à l'époque de pouvoir tenir une vidéo-conférence avec, je cite le film, jusqu'à 4 amis en même temps (quelle prouesse !). Le monde a bien changé depuis.

  • Celles qui, en 2021, relèvent pour le coup toujours de la science-fiction. Ce que nous appelons aujourd'hui "lits médicalisés" sont encore bien loin d'un lit autonome doué de la pensée ou de la parole (ce qu'on appellerait aujourd'hui une intelligence artificielle forte, dotée d'une conscience évolutive comme celle d'un humain), et les technologies permettant, par exemple, de synthétiser une voix depuis seulement la photo d'une personne, comme dans le film, en sont encore à leurs débuts.


Ce qui donne au film, incidemment, une ambiance que le dessinateur Boulet qualifierait de "formicapunk" : délicieusement rétro-futuriste mais avec des touches de vraie science-fiction dedans. Et que le film sache conserver cette propriété plus de 30 ans après sa sortie possède d'après moi une grande signification. Roujin Z, volontairement ou non, a su jouer sur plusieurs niveaux de l'imaginaire collectif afin de non seulement proposer un film futuriste pour l'époque, mais également ancré dans une esthétique propre à son contexte de fabrication. Cela lui donne un caractère vraiment unique et beaucoup de charme.


Outre le sujet principal du film (les conditions de vie des personnes âgées), par quelques plans bien sentis qui ne manqueront pas de rappeler Akira, Otomo enfonce le clou sur un de ses sujets de prédilection : comment l'omniprésence des machines dans notre vie pourrait à terme nous rendre esclaves de ces dernières.


Et il montre bien comment les hommes, une fois dépassés par une création dont ils sont bien incapables de freiner la progression, ne peuvent que contempler l'ampleur de la catastrophe, et après (car il y a toujours un après), commencer le nettoyage et la réparation après le passage du cataclysme technologique qu'ils auraient abattu sur eux-mêmes.


Enfin, d'après moi la symbolique des images du film est forte et convoie d'après moi un message contestataire s'opposant à la "marche forcée du progrès".
Par exemple, le lit médicalisé devenu "sauvage" tente tout d'abord de retourner dans la petite maison du pauvre Takazawa (complètement dépassé), traditionnelle et faite en bois. Mais ce faisant, il défonce tout sur son passage car de telles constructions "à taille humaine" n'ont jamais été prévues pour supporter un lit de cette taille et de ce poids, et encore moins le laisser passer dans les couloirs ou les escaliers.
Puis, le lit, en s'échappant du contrôle de policiers dans la rue grâce à un bulldozer, passe au travers d'un panneau publicitaire géant.
Enfin, dans la course-poursuite dans le tunnel à la fin du film, on peut apercevoir un panneau fléché "GO TO HELL" venu se greffer sur l'amas d'objets incohérent qu'est devenue la machine tout au long de sa cavale, pointant tout droit dans la direction vers laquelle se dirige le robot dans sa course folle et inarrêtable.


Que penser, alors, du message subtil qu'essaie peut-être de transmettre le film ?
Que les sociétés humaines, telles que nous les connaissons aujourd'hui, ne sont pas encore prêtes et adaptées à de tels changements technologiques, qui s'immiscent dans nos vies non pas en douceur mais en défonçant tout sur leur passage ?
Que des entreprises peu scrupuleuses tentent, par tous les moyens et notamment la publicité de masse et l'avènement des nouvelles technologies, de nous vendre toujours plus de produits dont les bienfaits sur notre vie seraient peut-être douteux ?
Que la sur-dépendance aux technologies qui gouvernent nos vies, si elle continue, finira par causer notre perte ?


Peut-être un peu de tout cela... Car, rappelons-le : au final, tout ce que souhaitait le vieux M. Takazawa, c'était Haruko, son infirmière qui est également le personnage principal du film, et sa femme, dont il est veuf, et non un lit robotisé qui le couperait définitivement de tout autre humain.


Alors, pour traiter le problème du mal-être des personnes âgées, la réponse ultra-technologique et individualiste telle que proposée dans le film est-elle la bonne, au détriment du bon vieux contact humain et des soins apportés avec patience et compassion ?


L'issue du film, et à mon sens la réalité de ce que nous traversons en 2021, semble prouver le contraire.


Vous apprécierez ce film si les dérives technologiques de notre société est un sujet qui vous plaît, ou si vous avez apprécié le film Akira.

Scylardor
9
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le 16 oct. 2021

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