Danemark 1770. Le médecin du roi entame secrètement une relation amoureuse avec la reine. Cette union inconvenable scellera le destin de toute la nation en participant au renversement de l'ordre social établi.



Le grand mal-être



Toute l’introduction est déjà signifiante. Au milieu de cette nature en liberté, une modeste maison est le triste témoin d’une confession douloureuse. A l’intérieur, une lumière cireuse traverse une fenêtre sale et éclaire tant bien que mal la main hésitante d’une femme : c’est Caroline Mathilde, ex-reine du Danemark, épouse d’un roi dément, qui s’apprête à prendre la plume pour écrire une lettre. Aucune forme de gaieté n’est visible sur ce visage décati par les aléas tranchants de la vie, car le sujet de son écrit sera la confession du péché de l’adultère.


D’un ton austère, la voix off daigne nous conter les débuts de la lettre avant de nous abandonner à un passé plus chaleureux. A cet instant, l’ambiance se renverse pour des horizons radieux partagés entre ciel bleu et plaines verdoyantes. Ce tableau de la nature nous emprisonne dans une immense quiétude. A l’instar de Caroline, ici pleine de vie et sereine, qui cueille les fleurs de son pays pour son futur époux. Ces deux atmosphères distinctes amènent à un double discours, car cette douce incursion au-delà d’être aux antipodes de la première ambiance, signale aussi comme souvent la venue des moments tragiques à venir.



Le chevalier au grand cœur



Comme pouvait le faire Kubrick avec Barry Lyndon, la photographie imperfectible des paysages est un calme plat entre deux tempêtes. Ici le tableau se noircit déjà à la rencontre de l’heureux élu, le roi Christian, exprimant ouvertement sa démence et les désirs de sa personnalité perverse. Car avec ce jeune homme, on se rend rapidement compte qu’il fera voler en éclats le petit rêve de princesse de Caroline. Malade, névrosé, psychotique. C’est un souverain à l’image de son gouvernement qui prône la censure, exige des convenances vieillottes, vote des lois liberticides, et est dénué de sens moral. Une politique instigatrice d’un conservatisme absolu alors que le reste du monde commence déjà à s’élever vers la lumière.


Seul un chevalier blanc à la belle âme, le séduisant Johann Friedrich Struensee, sera en mesure de sauver l’otage de cette royauté abjecte. Veillant avec dévotion les plus nécessiteux, c’est un médecin talentueux mais isolé dans le cloaque sordide du Danemark. Un lieu où la maladie règne en maître et où la mort vous attend à chaque coin de rue. Mais davantage que cela, l’homme modèle est aussi le porteur de nobles valeurs inculquées par une lecture assidue. Les philosophes des Lumières l’accompagnent perpétuellement, et en fervent défenseur de leurs ouvrages, il prêche anonymement leurs idées en maniant lui-même la plume au grand désarroi du royaume.



Les amants maudits



L’arrivée du médecin au château sera un événement heureux pour tous. Il devient le confident du Roi, le libérateur secret de la Reine, l’homme influent de la cour. Alliant la beauté, la bienveillance, et l’intelligence, sa présence débonnaire camoufle en vérité de plus sérieux enjeux.


Le regard du médecin mute bientôt en celui d’un amant. L’inaccessible Reine, la femme idéale, l’admire et lui renvoie volontiers son regard lourd de sens. Et quand lors des banquets et des danses ils s’approchent, l’un ne peut s’empêcher de rougir face à l’enthousiasme sensuel de l’autre. A l’abri des regards indiscrets, derrière ces portes blanches et dorées, dans la chambre autrefois prison pour Caroline, un amour interdit vient de naître et influera sur le sort de tout le Danemark.



Les vestiges du jour



Dans l’obscurité sécuritaire de la nuit, l’amour grandit entre ces deux renégats follement amoureux. Mais dans l’incertitude du jour, les deux brillants esprits prennent en considération le pouvoir dont ils jouissent. Le docteur Struensee, aussi fin psychologue, est entre temps parvenu à contrôler les agissements de Christian. Extirpé à jamais de la boue de son quartier fat, il est devenu le marionnettiste de l’homme le plus puissant du pays, jouant avec lui à sa guise en tournant malicieusement quelques ficelles de son esprit si primitif. Peut-être est-ce parce que l’insolence de leur amour les poussa à malmener encore davantage un gouvernement haïssable, peut-être est-ce par vengeance de ne pouvoir vivre ensemble librement, mais les amants interdits vivent maintenant du rêve de façonner un monde à leur image.


A cet instant, le récit s’émancipe de l’intrigue amoureuse sincère pour nous amener vers un sujet à la fois plus politique et dramatique. Un retournement de situation assez saisissant qui ravitaille toute la deuxième partie pour un changement d’ambiance radical. Il s’agit dès lors de revisiter l’histoire en pénétrant au cœur des dérives politique de la royauté. Tout particulièrement en témoin de ces réunions révoltantes où on observe, on écoute, et où on épie le despotisme de ceux qui gèrent les affaires du Danemark. Une aura nouvelle où l’on constate, impuissant, que la gestion du royaume se réalise par les signatures aléatoires de lois et de documents par la main insouciante du Roi.



L’adversité, mon alliée



Est-ce un hasard si Struensee tente de corriger les tares du gouvernement par les mêmes méthodes malsaines ? La main du Roi n’est dorénavant plus guidée par une troupe de vieux hommes conservateurs, mais par celui qui depuis toujours souhaite inaugurer les idées des Lumières pour le bien de son pays. Si tant est qu’on ait la force de briser la force hypnotique de l’œuvre, on pourrait prendre le temps d’élaborer une comparaison avec les nobles causes de notre réalité qui parviennent aussi à adopter les comportements qu’elles souhaitent pourtant annihiler. « Combattre le mal par le mal ». Avec Royal Affair, cette philosophie hypocrite n’aura jamais autant prouvé son insuccès inéluctable.


Quand arrive la fin, on est déjà éprouvé par les conséquences de ces deux tentatives d’accès aux dimensions du désir. Pour les personnages, ce sont les yeux embués de larmes qu’ils constatent l’échec de leur témérité. Seules deux autres âmes à la fois plus pures et légitimes réitèreront la tentative de faire du rêve de l’émancipation une réalité. Sur cette dernière image, retour aux sources, la lecture de la lettre s’achève enfin.



Conclusion



Royal Affair est un film, beau et douloureux, qui rythme le périple tortueux de deux amants vers l’accès aux dimensions du désir. Le naturel plein de fraîcheur des paysages bascule vers la délicate vie royale où une princesse désire être sauvée par son chevalier blanc à la belle âme. Aucun dragon à combattre ici, mais une lutte contre les convenances vieillottes et le despotisme d’un gouvernement. Conçue sous la forme d’une intrigue sur l’amour sincère puis d’un récit politique, l’œuvre détient un charme et une finesse sans pareils. Tantôt capable de nous émouvoir, puis de nous happer par sa dramaturgie, on est touché émotionnellement par l’histoire des amants maudits du Danemark.



I think some people are so sealed inside their fate
that they hide deep within their mind.


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le 6 juin 2021

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