Poussière tu étais, poussière tu redeviendras
Si on connaît essentiellement Ron Fricke pour Baraka, son précédent documentaire mélancolique sans parole et en musique, il ne faut pas oublier qu’il fut d’abord le directeur de la photographie de Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio. Une association lumineuse qui créa un genre à elle seule. Un principe de mise en perspective de l’humanité face à la nature, par la seule force des images. Au-delà du travail photographique, Koyaanisqatsi inventait un langage purement cinématographique où toutes les possibilités de sa grammaire y étaient exploitées. Accélérations, ralentis, plans fixes, zooms, mouvements d’appareils en tout genre, et même l’intervallomètre permettant de filmer sur de très longues durées le rythme du monde. Révolutionnaire, Koyaanisqatsi l’était aussi sur le fond, plus complexe qu’il n’y paraît, avec ses prophéties bercées par la musique de Philip Glass. Baraka reposait davantage sur un éblouissement, et même s’il y avait quelques scènes plus sombres, le mysticisme de Fricke s’avérait plus innocent que celui de Reggio.
C’est pourquoi Samsara s’apparente à un Koyaanisqatsi 2.0 et non à une vraie suite de Baraka. 20 ans se sont écoulés depuis le précédent documentaire de Fricke, et 30 depuis l’œuvre fondatrice de Reggio. La technologie triomphe, les inégalités aussi. Résultat : le rapport s’est inversé. L’émerveillement est devenu minoritaire et c’est la description du monde contemporain qui forme l’essentiel de Samsara. Le message de Fricke est simple : peu importe la complexité des créations humaines, elles finiront détruites un jour ou l’autre. L’ombre de l’Apocalypse est présente : poussière tu étais, poussière tu redeviendras. Avec une certaine bienveillance cependant, tant on sent Fricke admiratif devant la spiritualité humaine, mais aussi avec un effroi de plus en plus palpable. Les séquences consacrées à l’alimentation industrielle, par exemple, sont édifiantes.
Pas besoin de long discours, tout fait sens dans la simple représentation. Certes, le montage et la musique orientent l’interprétation, c’est aussi un récit, et Samsara avance ses conclusions avec évidence. Le final serre la gorge et rappelle que rien n’est éternel, que s’il y a de la grandeur dans la création, tout finira en désert. Au fil de l’œuvre, l’humanité aura été souvent résumée sous forme de machines ou de mendiants, dessinant une classique métaphore de la condition contemporaine. La beauté des images transcende ce schéma familier, la très haute définition employée donnant l’impression de découvrir des plans jamais vus auparavant et surtout des couleurs qui n’existaient pas. D’un simple point de vue technique, Samsara est un événement en soi.
Le sentiment de redite par rapport aux œuvres précédentes est parfois présent, surtout quand Fricke reprend des scènes entières de Koyaanisqatsi. Mais ce bégaiement à plusieurs décennies d’intervalle est volontaire. Au fond rien n’a changé, l’Homme avance toujours, vers de multiples fins et autant de recommencements. Un jour il n’y aura plus que des déserts. En attendant, il faut en profiter pour s’extasier devant le sublime de notre univers.