Qu’est-ce que la palme d’or ? Un titre honorifique avant tout, qui récompense un film pour sa qualité et ses prises de risque. Mais c’est aussi un prix décerné par un jury généralement peu varié, dans un milieu où l'argent passe outre le talent et au sein d’un festival aux allures conservatrices et rarement renouvelé. Certes, cette année, on a récompensé Ruben Östlund pour son œuvre; mais il ne faut pas oublier qui a décerné ladite récompense.

Si l’on doit s'attaquer à Sans Filtre et le critiquer, il est mieux de quitter le regard de Vincent Lindon (président du jury cannois de cette année), et même de ceux qui peuvent croire aux sacro-saints pouvoir de la palme d’or pour ériger un film en monument ultime du cinéma mondial. Regardons Sans Filtre comme l’on regarderait n’importe quel autre film.


Ce qui peut intéresser avant d’aller à l’assaut des salles obscures, c’est de connaître la durée du film : 2h30. Et croyez-le, vous en aurez pour votre argent ! Cachés derrière l’allure d’un long - très long - métrage se cachent en réalité trois courts-métrages, que le film distingue d’ailleurs en trois “parties” et qui se repèrent de manière évidente par un changement brutal de lieu.

Voyons-y surtout là une manière habile de ne pas faire peser trop d’enjeux sur un seul et même récit. Le découpage du film permet de séparer tous les messages qu’il essaye de faire passer, et de les rendre plus digestes. Et tous ces messages peuvent se résumer plus ou moins en un seul : le monde va mal.

Ainsi, les trois parties auxquelles nous assistons sont trois mini parodies, satires, voire dystopies qui tentent de nous éclairer sur notre condition d’humain capitaliste. En cela, Sans Filtre n’est que le troisième film du genre à sortir cette année, après Don’t Look Up et Rien à Foutre. Le cinéma alarmiste est à notre porte; va-t-il suffire à régler tous nos problèmes ?


Si la durée du film n’est pas un mal et si les messages qu’il défend sont aussi agréables à ingérer, c’est parce que le film est plaisant à regarder. En cela, il se distingue des deux films précédemment cités, qui abordent un ton plus grave. Pour Sans Filtre, tout est matière à humour. La dérision, l’ironie, l’absurde et le burlesque sont autant d’armes qu’Östlund utilise pour nous faire rire d’une situation épouvantable. C’est ainsi que la séquence de la tempête s’érige en scène monumentale de cinéma. Elle nous terrorise par ses personnages obstinés, outranciers et ridicules, elle nous fait rire par ses jets de vomis véloces et répugnants, et elle nous impressionne par sa gravité réelle, mise en contrepoint avec une caméra toujours très stoïque. C’est parmi les plus belles métaphores qui nous aient été données d’apprécier d‘une société en plein naufrage.


Le ton, le message, certes ! Mais qu’en est-il de la forme du film, plutôt que de son fond ?

Ce qu’on ressent d’abord, c’est le désir d’Östlund de faire “tableau” avec certains plans. Et c’est un pari réussi. Oui, le tout est beau. Les lumières donnent aux images une certaine grâce, une certaine gravité, et l’éclairage est mis au profit des émotions. Il faut aussi évoquer les musiques dont l’usage est toujours bienvenu et grisant.


Mais c’est dans sa gestion de l’espace que Sans Filtre se montre le plus impressionnant. L’immobilisme est un confort, qui va toujours dans le sens des personnages les plus riches : ne vous déplacez pas, c’est l’action qui vient à vous. La caméra s’occupe de faire le point dans la profondeur de champ. Au contraire, tous les plans mouvants ont à voir avec le labeur et les personnages plus modestes.

L’espace n’est pas un obstacle. Au contraire, il est une scène sur laquelle les héros vont pouvoir évoluer. Dans leurs mouvements, les personnages répondent souvent à une certaine théâtralité. A l’inverse, certains gros plans sur leurs visages montrent leurs moindres imperfections. Östlund maîtrise parfaitement l’outil cinématographique et il en joue avec aisance pour notre plus grand plaisir.


Conclusion


L’excès, l’extrémisme politique, la superficialité, l’égalité des sexes… Autant d’éléments qui sont passés au crible de la sensibilité et de la caméra de Ruben Östlund. Sans Filtre vous en dira long sur notre société si vous avez passé les cinq dernières années dans une grotte. Il s’ancre dans un courant qui, sans doute, va prendre de plus en plus d’ampleur dans les années à venir : les films alarmistes. Si vous êtes une personne déconstruite et au fait de l’actualité, Sans Filtre reste un très bon film qui vous fera rire et vous impressionnera par la maîtrise de ses images.

L’ironie la plus probante dont le film fait preuve est sans doute de parler d’excès et de le caricaturer, tout en garantissant à son réalisateur une deuxième palme d’or… Ah, monde cruel, quand tu nous tiens !


emimile01
7
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le 17 oct. 2022

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