Le cinéma bis regorge de figures marquantes, des réalisateurs tels que George A. Romero ou Russ Meyer et leurs revisites sanglantes ou sexuelles de la société américaine, des acteurs habitués à des rôles parfois ingrats qu’ils vont pourtant élever par le haut, merci Vincent Price, Boris Karloff ou David Carradine. Et des personnages haut en couleurs. Il y a une richesse dans ce cinéma que je ne manquerais jamais de défendre. Et tellement de choses encore à découvrir.


Par exemple, El Santo. Le plus grand catcheur d’Amérique latine est une légende de la lucha libre, déclinaison mexicaine du catch. Il n’a jamais perdu son légendaire masque argenté, le plus grand des honneurs dans ce milieu très codifié. Sa renommée il la doit à ses exploits sportifs, mais aussi à la construction de sa légende, enjolivée par une bande dessinée dès les années 1950 puis une multitude de films ou d'hommages.


On en dénombre ainsi une cinquantaine (!), forgeant le nouveau mythe d’un héros contre le mal. Face à lui, des menaces parfois évidentes, d’autres fois plus saugrenues. Pour alimenter ce catalogue d’adversaires, les scénaristes ont puisé partout, dans les robots, dans le surnaturel, dans l’espace, dans la littérature, etc. La qualité est loin d’être constante, le film de série B délicieuse côtoie le navet, mais qu’importe, le héros a fait rêver les Mexicains pendant des décennies, et même d’autres territoires. En France, il a même parfois été rebaptisé Superman par des distributeurs peu scrupuleux.


C’est d’autant plus surprenant que de découvrir ce premier film le mettant en scène, Santo contre l’esprit du mal, tourné en même temps que le suivant, Santo contre les hommes infernaux. Tous deux sont réalisés par Joselito Rodriguez et sont sortis en 1961 au Mexique. Car pour cette première incursion, Santo est ainsi rapidement mis hors du jeu. Le film s’ouvre sur une course-poursuite qui termine dans une impasse : Santo est assailli par des malfrats, il défend cher sa peau mais se retrouve défait. Emmené dans le repaire du Dr Campos, il se retrouve sous la coupe de celui-ci. Une machine l’hypnotise. Il va aider le maléfique scientifique à kidnapper des notables et des scientifiques.


C’est donc un Santo diminué pendant tout le long du film que le spectateur découvre un peu ahuri, avec une démarche pataude qui rappelle plus un gros bébé hagard qu’un digne héros. La police mexicaine se doute bien que quelque chose cloche quand elle apprend les exactions du catcheur, apparemment sa renommée de justicier est déjà établie. Les soupçons se portent sur le Dr Campos, encore faut-il le prouver.


Le scénario n’a rien de palpitant. Pire, il se révèle même parfois affreusement plat, les motivations du méchant étant terriblement conventionnelles, quand il n’est pas incohérent dans ses actes. La protection policière qui est en fait une surveillance rapprochée du scientifique est une incroyable passoire, tandis que d’autres scènes sont d’une simplicité un peu trop imbécile. Par exemple pendant l’assaut final contre la maison du scientifique, les deux parties conversent, d’un côté la police et El Santo et de l’autre le Dr Campos depuis sa fenêtre. Le catcheur glisse qu’il va se faufiler par derrière et s’en va, une belle intention qui ne peut pas avoir l’effet de surprise escompté puisque le méchant est toujours à sa fenêtre et que normalement, il devrait avoir observé la scène et compris l’intention. Mais non.


Le film est tourné avec des bouts de ficelle. La machine à hypnotiser est en carton, on la voit bien bien mal assurée quand un des personnages la frôle. Tout l’aspect scientifique est bien sûr complètement farfelu, avec une machinerie faussement futuriste et des fioles en tout genre pour recréer un labo typique des films de ces années. Il y a ainsi d’évidents problèmes de raccords entre les scènes, et d’autres sources d’amusement, comme ce chien (égaré ? de l’équipe?) qui traverse la séquence de lutte du début avant de disparaître au plan suivant. Ces moments plus musclés ne manquent pas de charme, les coups se font parfois un peu loin, mais il y a malgré tout une certaine énergie, bien qu’un peu maladroite.


Le film tire par contre un peu trop longtemps sur certaines séquences pour tenir la durée, à l’image de tous ces plans en voiture, très nombreux. Il y a même une pseudo course-poursuite, dont on se demande s’il y a la quelconque intention d’offrir un sentiment d’urgence. Le film a été tourné à Cuba, juste avant l’avènement de la république cubaine. A défaut d’avoir le frisson de l’action, on peut profiter de ses décors. On y voit ainsi toutes ces belles mécaniques automobiles qui font encore partie de l’imagerie de l’île. Peut-être y avait-il un certain exotisme pour les spectateurs mexicains de découvrir ces paysages et ces belles carrosseries, mais cet aspect a assez mal vieilli pour nous, le noir et blanc n’arrangeant rien.


Heureusement, il y a toujours l’univers de la lucha libre, intégré avec un aplomb naturel dans cette histoire de savant méchant et de disparitions de notables. Santo n’y est pas à son avantage pendant la grande majeure partie du film, mais c’est parce qu’un autre catcheur masqué est à l’œuvre, El Incognito, qui va se faufiler une première fois dans le repaire puis une deuxième pour libérer Santo, après une petite empoignade bien virile. Qui est-il ? On ne le saura pas, évidemment. Comment a-t-il découvert le lieu ? Par un curieux et bien pratique accessoire dont on ne sait pas ce qu’il mesure, mais il fonctionne. On se retrouve ainsi avec deux catcheurs pour le prix d’un, une première collaboration qui en entraînera d’autres dans les films suivants, notamment avec Blue Devil.


Ce catcheur, c’est Fernando Osés, l’un des pionniers de la lucha libre au cinéma dans les années 1950. Mais il était aussi scénariste, notamment pour ce film, ce qui explique peut-être le premier rôle qu’il s’octroie ici. Il offre à Santo son premier rôle au cinéma, mais se garde aussi une bonne place.


Découvrir El Santo par ce premier film n’est peut-être pas le meilleur moyen pour percevoir cet univers. Mais celui-ci a toujours été tellement aléatoire et farfelu selon les scénaristes et les réalisateurs qu’il était peut-être illusoire d’en chercher un échantillon représentatif. Le film a bien vieilli, il est pataud sur bien des plans et se révèle parfois soporifique, étouffant quelques rires amusés devant ses plus grandes maladresses. L’incongruité de ces catcheurs mexicains dans ce film trop sérieux pour son plus grand bien apporte tout de même une belle récompense.


Le film a été édité en 2013 par Bach Films, dans une qualité appréciable. Un bonus vidéo permet d’en savoir plus sur le film tandis qu’un livret revient sur l’histoire du cinéma fantastique mexicain. Un beau boulot.

SimplySmackkk
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le 8 sept. 2020

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