Le deuxième essai horrifique d'André Øvredal, The Jane Doe Identity, était une réussite visuelle et d'atmosphère des plus surprenantes : ce film qui ne s'annonçait pas particulièrement comme une référence des années 2010 aura su prendre à revers les attentes des spectateurs en faisant durer, sur sa première partie (de loin la plus intéressante), une relation père-fils touchante et vraie développant, sous la menace d'un esprit démoniaque jusqu'ici mutique, tous les enjeux d'un huis-clos à l'intensité folle.


Il est donc naturel d'attendre de ce Scary Stories une nouvelle histoire touchante et proche de l'humain, d'autant plus qu'Øvredal se sera concentré ici sur un groupe disparate de jeunes geekos évoluant à l'aube des années 70, et persécuté par des clichés d'américains populaires à qui la vie sourira dans tous les cas. La présentation au spectateur du quotidien de ces impopulaires que peu d'entre nous considèreraient réellement en les croisant dans la rue aura beau tenir du cahier des charges un brin forcé, il en ressortira une réelle considération de la part du réalisateur, qui nous les présentera non pas comme des stéréotypes manichéens de gentils uniquement caractérisés par le fait d'être maltraités/constamment humiliés, mais bien comme des protagonistes aux goûts particuliers, à la culture geek florissante, à la personnalité particulière faisant qu'ils ne peuvent bien s'entendre qu'entre eux.


On pouvait aussi craindre à ce moment l'hommage devenu raison première d'exister : à la mode de toutes ces oeuvres nostalgiques apparues à la seconde moitié des anénes 2010 (pour la plupart à la suite de la série Stranger Things), Scary Stories aurait pu jouer la carte du larmoyant souvenir aimant afin d’appâter un spectateur déjà curieux de suivre ce qui pourrait s'apparenter à une adaptation pour adolescents des fameux bouquins Chair de Poule.


Si quelques références (autant cinématographiques que littéraires) seront de mise durant sa partie introductive, l'oeuvre saura s'en détacher à l'arrivée de ses créatures monstrueuses pour justement y dénicher sa personnalité, à grands coups d'expériences visuelles et de traitement cruel de ses personnages principaux. Celui qu'on attendait étrangement comme un divertissement pour adolescents (soit un poil frissonnant mais surtout édulcoré) n'hésite pas à enchaîner les scènes d'horreur sans filtre, dévoilant des destinées terribles pour tous ses protagonistes, sans qu'exception ne soit faîte pour les gentils ou pour les méchants.


Face à la violence évocatrice de certaines scènes (le film gère parfaitement la suggestion), Scary Stories bascule de son faux statut de film pour adolescent à plaisir horrifique à la personnalité réjouissante : qu'il décide de montrer des épouvantails, des orteils séparés de leur corps ou des monstres bouboules dans des asiles au rouge viscéral, terrifiants par leur mutisme et leur démultiplication silencieuse, il gardera son efficacité redoutable et l'étendue de ses délires visuels horrifiques et marquant (cela faisait longtemps que des monstres en CGI n'étaient pas restés si longuement en mémoire).


On ne pourra pas cependant passer sur le fait que le long-métrage, dans sa volonté de rendre hommage aux films de genre de l'époque, s'enferme seul dans une certaine quantité de lieux communs et de situations pré-conçues dont on connaîtra souvent le dénouement par habitude, ou de cette enquête un poil bordélique offrant une vision plus précise de l'origine et des causes de la malédiction portant sur ce cahier à l'encre de sang.


Cela oublié, le reste pourra satisfaire sans problème : la mise en scène d'Øvredal toujours très soignée, la photographie magnifique de Roman Osin (rencontré sur The Jane Doe Identity et Orgueil et préjugés) construisent une atmosphère tendue qui aura la clairvoyance de se tenir éloignée des jumpscares et autres effets horrifiques faciles attendus.


On ressent cette distance gardée de la facilité jusque dans l'évolution des rapports qu'entretiennent les personnages entre eux, notamment dans cette critique sous-jacente de la xénophobie d'une Amérique conservatrice, revendication ethnique placée sans tentative de quelconque morale lancée à l'égard d'un spectateur qui n'était de toute évidence pas venu défendre les grandes causes en payant son ticket (ou son Blu-ray) d'un film d'épouvante aux couleurs de jaquette si jolies.


Tout cela, rédigé de façon très humaine, conduisant vers un personnage fantomatique au traitement très intéressant, permet de comprendre plus facilement pourquoi Del Toro se trouve derrière le projet : l'oeuvre rentrant dans la majorité de ses critères de réalisation/scénarisation/production, on sent autant sa patte derrière le projet que l'identité du réalisateur norvégien, qui n'aura aucunement perdu de sa personnalité et de son talent en se faisant produire par un artiste à l'art si marqué par son imagination débordante


Retenons de cette collaboration un film imparfait qu'on peut aisément considérer comme un rafraîchissement salvateur pour une fin de décennie affreusement répétitive dans ses hommages ratées aux gloires du passé (pour la plupart oubliées ou rangées dans le tiroir des personnalités les moins rentables) : c'est parce qu'il s'érige au delà de sa simple condition de film pour ado prédestiné à enchaîner référence sur référence qu'il marque à ce point, donnant suite de façon radieuse (et norvégienne) à l'âge d'or de l'horreur espagnole mise en oeuvre et produite par le génial et non moins talentueux Guillermo Del Toro.

Créée

le 16 mars 2020

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FloBerne

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