Série Noire, c’est bien sûr Patrick Dewaere, en roue libre, sur le terrain vague, dans sa baignoire, avec sa femme, face à son patron, entouré de loubards, faisant crisser les pneus, criant comme un forcené, se battant contre des ennemis imaginaires, glissant sur la glace, dansant avec une partenaire rêvée, se cachant derrière la portière, ayant peur de lui et des autres, pleurant pour expier sa faute, expérimentant le suicide, buvant comme un trou, jurant comme un charretier embourbé, se révoltant contre les injustices, bravant l’ordre, provoquant les durs, distribuant des baffes, évitant les coups, appuyant sur la gâchette, étranglant, se défendant seul dans des plaidoyers bancals et surtout délirant, disjonctant volontiers, passant gracieusement d’un bord à l’autre comme une danseuse du ralenti à l’accéléré, marchant sur le fil du funambule une cigarette au bec en se moquant du vide avant de chuter.
Série noire : la fin tragique y est inéluctable, quoique Corneau laisse un peu d’espoir à un Franck Poupart, lui concédant la liberté dont il a besoin plus que n'importe qui. Aucune rédemption possible pour ce jeune colporteur au boulot de merde, au patron sans scrupule, à la femme chiante et qui ne fout rien, à la maison bordélique, à la voiture minable, à l’ami marginal et aux rêves médiocres matérialisés par une esclave prostituée, simple d’esprit et qui ne parle pas. Tout ça tourné dans une banlieue grise et blafarde, sans grâce, entre terrain vague et enseignes de centres commerciaux, dans des intérieurs ringards et un bureau miteux. Pourtant Franck avait bien préparé son coup – proprement, lui qui en devient maniaque, ayant un besoin vital d’ordre et d’hygiène.
Toutefois Corneau en fait trop – l’excès traverse le film. Dewaere aussi, ne connaissant pas la limite. La petite Trintignant est trop potiche, les acteurs sont globalement mal dirigés. De manière générale, ça sonne souvent faux, c’est parfois incongru. Mais ça garde un certain charme désuet.