Totalement immoral, et c'est pour ça qu'on aime. Quand le cinéma américain nous abreuve de happy-ends prévisibles, Nick Cassavetes vient mettre la pagaille avec son drame réaliste et pessimiste. Le début du film est rude, suivant une femme enceinte délaissée, fragile mentalement, qui se fait abuser par son voisin de palier qui lui demande même merci à la fin (un porc), et doit cacher son traumas pour éviter que son fiancé (père du bébé) ne parte lui aussi en vrille... Nick Cassavetes, dans son drame qui pourrait facilement tirer le violon de son étui toutes les dix minutes pour nous soutirer des larmes au fur et à mesure de la déchéance de ses personnages (jamais détestables), mais a l'intelligence d'en jouer, de donner un ton comique totalement en décalage avec la narration. Le passage chez le coiffeur fait bien rire, le pote "Shorty" qui est lui-même un peu timbré (mais attachant) qui n'aide pas vraiment son ami, les dialogues crus... On ne nous apitoie jamais, on nous pique d'intérêt pour savoir comment finira cette sordide histoire de garde d'enfants qu'on se dispute (pas dans le sens attendu). John Travolta s'insère tardivement dans le récit, et le fait très simplement, amenant un personnage de qui on a encore plus pitié (il renverse nos premières impressions sur le couple de départ), et emboitant le pas à un choix final qu'on n'a toujours pas digéré. On a beuglé à plusieurs, devant notre écran, carrément pas d'accord avec le choix fait par la mère de famille
(qui abandonne ses trois marmots comme des boulets, et son mari au cœur brisé, pour certainement souffrir de nouveau avec son ex-fiancé instable...)
, mais justement, là est le coup de maître de She's so Lovely : on pense que "non, elle ne va pas faire ça, c'est immoral", et puis on se prend le coup de masse de plein fouet ("oh ben si, elle l'a fait...", suivi de tous les noms d'oiseaux que des spectateurs investis dans l'intrigue puissent connaître). La surprise, le côté décadent d'oser une fin sans justice, malheureuse, plus réaliste que les happy-ends niaises, une dernière ligne droite qui fait écho au début très puissant, avec un Sean Penn très en forme, une Robin Wright attristante, et un Travolta qui nous fait mal au cœur. Un drame très proche des travers de l'humanité, jusque dans ses mauvais choix.