Curieux Sherlock Holmes ...
Très beau visuellement, recherché dans ses effets d'action, d'interaction comme de reconstitution du Londres victorien, La Marque du diable se veut une étiologie du plus célèbre des détectives. Une origin story, comme l'on dit souvent, volontairement sombre et glauque où un James d'Arcy jeune premier offre à Sherlock Holmes ses premiers pas vers ses plus célèbres aventures.
Hic jacet cependant lepus, cette étiologie existe déjà: il s'agit d'Une Etude en rouge. Il semblera donc bien souvent aux connaisseurs holmésiens qu'en plus de trahir l'héritage de Conan Doyle, ce petit téléfilm ambitieux est le fruit d'un cerveau presque ignorant des fondements de l'univers de Sherlock Holmes.
Qui d'autre peut bien oser faire se présenter Holmes comme étant un "détective privé" quand celui-ci s'acharne dans les romans à se présenter comme un "détective consultant", fonction professionnelle qu'il dit avoir inventée lui-même ? Qui provoquerait trois chutes du Reichenbach sans chute et sans Reichenbach au beau milieu de Londres, dont un duel final plus pioché dans Basil, détective privé que dans l'oeuvre du père du Pr Challanger ? Qui troquerait une passionnante histoire de vengeance avec un zeste de chevalerie du XIXe siècle contre une sordide histoire de drogue plus digne des seventies ou des eighties ? Qui, sinon un ignorant ?
Un iconoclaste très au courant au contraire mais désireux de faire fi du matériau d'origine. Ainsi, bien des personnages seront décryptés par Holmes et son frère comme l'est le Dr Watson dans le roman sans que jamais il ne s'agisse du bon Docteur, ici simple légiste de l'Inspecteur Lestrade. Ainsi, Holmes tombera-t-il éperdument amoureux d'une Miss de Winter, qui n'aura jamais rien ni de Kitty Winter, dont elle ne fait que voler le patronyme, ni d'Irène Adler, véritable grand amour de Sherock Holmes. Ainsi, cette même Miss de Winter s'avérera se nommer Doyle et l'aventure Doyle recueillie dans un album de coupures de presse par le Dr Watson sera jetée au feu: une métalepse symbolique hautement iconoclaste et hurlante.
Mais abstraction faite de ce Sherlock jeune séducteur torché à l'absinthe dont on cherche à élucider l'addiction à la cocaïne, abstraction faite de ce Watson simple fonctionnaire bougon, abstraction faite de ce Mycroft tout en cannes ex-victime de Moriarty - pourtant excellemment campé par un Richard E Grant, bien meilleur dans une version du Chien des Baskerville de la même année - , abstraction faite de ce Moriarty - joué par un Vincent d'Onofrio qu'on n'aurait pas vu dans ce registre mais qui s'y illustre plutôt bien - qui n'en finit pas de mourir pour de faux afin de couvrir un petit trafic de drogue, l'intrigue n'est pas inintéressante et le film séduit et divertit.
Pour qui ne tient pas à voir un Sherlock Holmes mais un bon polar noir dans les ruelles sombres et embrumées du Londres victorien, ce sera un très bon moment.
Seringues et tranches de cerveaux fumées, tel est le programme.
Un Sherlock pour les masses, où Holmes tue du truand au colt ou à la canne-fusil au côté d'un Watson plus Q de James Bond que médecin de guerre revenu d'Afghanistan.
Pour citer le sensé Inspecteur Lestrade du métrage: "C'est Londres ici, pas le Far-West !"
Un Sherlock pour les cow-boys, donc.