Ce film est parfaitement à l’image de son affiche, alléchant mais un peu hermétique. Film concept, il décline le même argument tout au long de 13 tableaux qui finissent toujours par surprendre et même fasciner. Malheureusement, ce n’est pas suffisant car le spectateur reste sur sa faim.


Le concept ? S’intéressant à l’univers du peintre américain Edward Hopper (1882-1967), Gustav Deutsch (allemand ? raté, il est autrichien) a imaginé la vie de personnages observés sur les toiles de l’artiste. Le réalisateur a également eu suffisamment d’inspiration pour trouver un lien entre différentes scènes choisies par ses soins et les présenter sous forme de tableaux cinématographiques.


La première scène (avant le générique) est ainsi bluffante. On y voit quatre personnes dans un compartiment de train. Le décor est stylisé, les personnages plutôt statiques, les couleurs et l’éclairage donnent vie à une scène exactement comme si un tableau s’animait. Le parti pris du réalisateur est de faire comprendre au spectateur qu’à partir d’une image, il peut reconstituer la situation sous la forme d’un instantané de vie de quelques minutes pour donner des indications sur les personnages et les relations qui existent entre eux.


Le film présente une chronologie où chaque tableau brode à partir d’une toile d’Edward Hopper et montre une scène toujours située un 28 août. La première dans les années 30 et la dernière dans les années 70. Changement annonciateur de l’ultime scène, elle est située un 29 août.


Les vrais points positifs du film concernent la restitution de l’univers du peintre. Ses couleurs, éclairages et cadrages sont respectés (au moins à un moment pour chaque tableau). Ce qui ressort de l’œuvre d’Hopper est une incroyable sensation de solitude. Sensation parfaitement reproduite avec des personnages qui s’expriment avant tout sous forme de pensées. Impression d’enfermement aussi, puisque la plupart des scènes sont en intérieur (même si certaines sont vues de l’extérieur). L’ennui est très net également. La façon dont les personnages se comportent démontre souvent qu’ils sont dans leur intimité, quand Shirley se déshabille et déambule nue par exemple.


Malheureusement, l’univers d’Edward Hopper reste trop personnel pour permettre d’imaginer des liens forts entre les différentes toiles. L’univers du spectacle est certes concret, mais si on remarque des scènes dans un train, des intérieurs divers (salon, chambre d’hôtel, etc.) c’est difficile d’établir quelque chose qui ressemblerait à un scénario. C’est probablement une des raisons qui ont poussé le réalisateur à situer chaque scène un 28 août. Mais cette similitude n’est qu’un lien artificiel. Les tableaux (les toiles) restent des tableaux (certes animés), trop figés pour donner l’impression de continuité nécessaire dans une œuvre cinématographique. Le lien voulu par le réalisateur, c’est ce personnage de Shirley (Stéphanie Cumming). On la retrouve d’année en année pour des scènes où on doit bien souvent se contenter de ses pensées, ce qui donne peu de chair à son personnage (ne parlons pas d’action, puisque l’essentiel est très figé). On peut regretter également, puisque le réalisateur balaie la carrière d’Edward Hopper sur la durée, que le film néglige des thèmes essentiels de son œuvre, comme les façades de maisons et les paysages avec des phares notamment.


Si l’affiche ne peut qu’éveiller l’intérêt des admirateurs d’Edward Hopper, le film n’est malheureusement qu’une demi-réussite. C’est un reflet intéressant de l’œuvre du peintre, œuvre se prêtant mal à une retranscription cinématographique. La comparaison qui vient en tête est celle de La jeune fille à la perle qui retranscrit merveilleusement l’univers du peintre Johannès Vermeer, alors que sa vie nous reste incroyablement plus mystérieuse que celle d’Edward Hopper.

Electron
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le 17 juin 2015

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