Le génocide d'Avril à Juillet 1994 au Rwanda a grandement inspiré les scénaristes ces dernières années. Hotel Rwanda, 100 Days, Sometimes in April sont autant de fictions tentant de narrer l'indicible du massacre des Tutsi. Parmi ceux-ci Shooting Dogs, qui, s'il ne s'illustre pas par sa qualité, porte en son sein tous les écueils vers lesquels foncent tête baissée les producteurs zélés lorsqu'ils offrent un budget conséquent pour un futur navet.

Tout d'abord, les personnages. John Hurt, incarne un vieux prêtre aimant et tolérant, généreux, sage, en bref un papi adorable, rayonnant de sa confiance en lui-même et en les autres. Mû par la foi, il représente l'amour et la générosité au sein de la crise. Face à lui, Hugh Dancy prête son visage de jeune premier au rôle du héros qui bien qu'ayant des fêlures, doit mener son combat face aux forces du mal, bravant les dangers pour ses idéaux. Il doit être fougueux, encore naïf et innocent, confronté à des désillusions mais aussi à l'amour. Car, niaiserie oblige, les bons sentiments sont représentés en une jeune Tutsi, courageuse et discrète, de qui le héros va peu à peu tomber amoureux.
Il y a aussi l'officier de l'ONU, représentant les enjeux politiques dans le film, et le gentil Hutu qu'on retrouve 40minutes plus tard avec du sang sur les mains, afin que l'on ne puisse dire que le film est trop manichéen. Chaque personnage joue une partition singulière, évidemment clichée et en décalage avec les autres. A aucun moment ceux-ci ne se démarquent du carcan déjà-vu un millier de fois qui limite la portée de leurs actes à la démonstration plate de la morale la plus évidente. Il en résulte une cacophonie de bons sentiments, desservant son sujet plus que le magnifiant.

Les Hutus furent ignobles, les Tutsi furent victimes, l'ONU n'a pas su faire son boulot, les blancs ne surent que faire, abasourdis devant l'horreur. Et les croyants en perdirent leur foi, ébranlés devant l'immondice de la haine Hutu. Voilà les traits forcés et disgracieux prêtés aux personnages, au sein d'un scénario qui pose les mauvaises questions (et y répond mal) et d'une réalisation plate qui se cache derrière la force du propos.

Car le drame de ces fictions inspirées de faits réels, c'est que les producteurs comme les scénaristes, les réalisateurs comme les monteurs considèrent que le fait même de traiter de l'horreur donne du crédit au projet. Cependant la force du propos ne fait pas tout. Et de même, le talent des acteurs ne fait pas tout. Ainsi, bien que la trame soit horrifiante et marque indubitablement le spectateur, il est vrai qu'au bout de la 6ème scène redondante montrant l'arrivée des protagonistes devant un barrage de rebelles, et ce toujours dans un camion, à travers la vitre, le manque d'inventivité de la réalisation usant des mêmes effets commence à lasser.

Ainsi Shooting Dogs, d'une façon très scolaire, permet de lister les nombreux écueils qui forment au final un navet plein de bonnes intentions. Cette critique est incomplète ; restent la musique sans originalité, les premières minutes dégoulinantes de bons sentiments, l'épilogue ridiculeusement anecdotique... J'attends encore le film qui narrera l'horreur sans tout ce miel daubesque, sans ces propos bienséants. Car, bien que les frileux auteurs de ce film ne le comprennent pas, l'horreur n'admet aucun semblant de mièvrerie.
Pukhet
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le 31 juil. 2012

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le 31 juil. 2012

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Pukhet

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