Face aux violences des religions, Martin Scorcèse brandit une Foi silencieuse

S’il existe un cinéma qui nous permet encore de nous poser des questions, un cinéma de l’ordre de l’intime, qui s’apparenterait davantage à un essai qu’à un roman de fiction, Silence est de celui-là.
Dans ce film très personnel, qui relate le parcours d’un prêtre, parti à la recherche de son mentor en terres japonaises car il ne peut « croire » que ce dernier à trahi son sacerdoce, Martin Scorcese s’interroge sur la manière dont les hommes et les sociétés apprivoisent leur croyance. Le cinéaste démontre en quelque sorte que dès lors que la Société s’empare d’une croyance pour en faire une « religion », cette croyance devient plus collective que personnelle, « encartée » dans des pratiques liturgiques, des usages, imposés par ceux qui tentent de structurer « une religion », par souci d’universalité. La relation d’un homme à Dieu, si tant est qu’il en est une, ne devrait-elle pas rester personnelle, intime ? Doit-on associer la religion à une culture, quitte à lui donner une dimension plus politique que spirituelle ? Alors que j’interrogeais récemment quelqu’un sur la signification de son signe de croix systématique quand il entre dans un lieu de culte, alors même, détail important, qu’il ne croit pas en Dieu, il m’a répondu que cela s’expliquait par sa « culture judéo chrétienne ». Ainsi, aujourd’hui, on peut faire l’ensemble des liturgies liées à une religion, sans croire en Dieu ? Ne les a-t-on pourtant pas « inventées » pour célébrer Dieu ? Sinon, où en est le sens ? On peut effectivement se dire que croire en quelqu’un ou quelque chose qu’on ne voit pas, devient éminemment difficile dans une société qui encense le concret et le matériel. Il faudrait donc voir pour croire et pour cette raison, porter un Jésus en croix autour du coup, baiser le tomber du Christ à Jérusalem, se prosterner devant des statuts du Christ, de sa mère ou des 12 apôtres deviendraient indispensables à l’expression d’une croyance. Admettons.
La difficulté réside dans cet impossible universel. La croyance, en tant que courant de pensée, est soumise à des interprétations diverses et donc à des dogmes concurrents qui cherchent chacun à s’imposer aux autres. C’est l’expérience qu’en fait Andrew Garfield tout au long de son parcours japonais. Le courant de pensée catholique étant minoritaire au Japon, les fidèles sont vus comme des récalcitrants qu’il faut « mater ». La meilleure manière de le faire serait de piétiner leur Dieu, au sens propre du terme. Concrètement, on demande aux chrétiens de marcher sur une image de Dieu pour acter qu’il renie leur croyance. Ce serait donc cela croire ? Refuser de marcher sur une image de Dieu serait la preuve même qu’on croit « vraiment » en lui alors que « les faibles » qui acceptent de le faire pour échapper à une mort certaine ne seraient dès lors plus « recensés » dans le rang des croyants ? Cela semble insensé. Et pourtant la force même du film est de ne pas chercher à nous en convaincre. En tant que spectateur, on se prête à croire que le vrai courage du croyant est justement de refuser de piétiner un symbole, quitte à le payer de sa vie et de celle des autres. L’image du martyr s’oppose à celle de l’opportuniste. Ce personnage présent tout au long du film, qui ne cesse de renier Dieu pour sauver sa vie, mais revient toujours vers lui pour se confesser et obtenir son pardon. On peut y voir une certaine immoralité. On peut aussi y voir un pragmatisme bienvenu qui consiste à refuser de se sacrifier pour ce en quoi on croit, tout en continuant à croire, en silence cette fois. Car c’est peut être bien la le sens du titre de ce film. Peut-on croire en silence ? Peut-on continuer à croire en Dieu sans intégrer une de ses paroisses, et parfois même en vivant au milieu d’individus réfractaires ? Le personnage d’Andrew Garfield est amené à faire ce choix, qui s’il lui paraissait insurmontable au début de sa quête, est « juste » difficile. Malgré l’abandon de son sacerdoce, il lui reste sa foi. Car la foi est un état totalement personnel et intime, une liberté intérieure qui n’a pas besoin de construction sociale. Il s’agit de croire sans le dire car on ne peut s’en empêcher. C’est peut être ça la vraie croyance en Dieu. Ne pas avoir à « montrer » à quel point l’on est croyant. On croit c’est tout…même dans un pays où les marécages, empêchent de faire pousser de nouvelles plantes, comme le dit si bien le personnage de l’inquisiteur à Andrew Garfield… ainsi se termine le très beau film de Martin Scorcese. Il donnera certainement lieu à des analyses très différentes car il nous interroge sur un sujet passionnant mais éminemment mystérieux. En effet, qu’on le veuille ou non, si la religion est depuis de nombreux siècles au cœur du prisme social, la capacité de chacun à avoir ou non la Foi reste à mon sens, encore une énigme.

C-L
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le 11 févr. 2017

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