Peut-on apostasier par charité ?

Cette critique a plus vocation à traiter du fond que de la forme. Je ne suis en aucun cas un spécialiste du cinéma.


Dès le début du film il a été très difficile pour moi de trouver ces deux prêtres crédibles. Ils nous sont présentés comme des jésuites, c'est-à-dire l'un des ordres qui forment le mieux ses prêtres à l'époque - comparé aux standards de l'époque. Les jésuites sont notamment connus pour pratiquer des exercices spirituels qui leur permettent de contrôler leurs émotions, corps, esprit etc. À l'inverse, Garrupe et Rodrigues semblent complètements novices et impréparés à la situation japonaise, malgré les mises en gardes TRÈS CLAIRES au tout début du film sur les persécutions de masse qui s'y opèrent.
Leurs dialogues intérieurs comme extérieurs m'ont apparu dénué d'une grande profondeur mystique et théologique. Rodrigues, face au grand inquisiteur qui prend pour métaphore une relation polygame pour lui démontrer la non-compatibilité entre le Japon et le catholicisme, trouve pour seule réponse les mots suivants : "l'Eglise est pour la monogamie". No comment là-dessus...


Il faut attendre 2h de film pour avoir une conversation un peu plus poussée, entre Ferreira (Liam Neeson) et Rodrigues (Andrew Garfield), et là-encore les réponses de Rodrigues sont purement superficielles et ne concernent que la forme ou les événements. Si au moins on comprend pourquoi Ferreira a apostasié - probablement par intellectualisme, il oppose des arguments rationnels et percutants - on ne comprend même pas pourquoi Rodrigues croit toujours... toute sa foi semble fondée sur un orgueil démesuré auquel j'ai eu du mal à adhérer.


Sur la question principale du film : celle du martyr.


La question que Scorsese veut que l'on se pose avec Rodrigues est la suivante : peut-on renier le Christ si c'est pour sauver des vies ?
La question est d'une perversité incroyable : il fait croire à Rodrigues, comme au spectateur, qu'il est responsable de la mort des chrétiens s'il n'apostasie pas. Il ne faudrait pas oublier qui le met dans cette position, qui est le vrai responsable, le vrai coupable - et ce n'est certainement pas lui. Ainsi la question est faussée dès le début en laissant croire au prêtre qu'il est en contrôle de la situation, alors que la vérité ne saurait en être plus éloignée. Et l'idée qu'un jésuite, encore une fois, ne voit pas cela clairement me parait aberrant. Qu'il apostasie pour sauver sa vie, ou celle des autres, pourquoi pas. Mais la question de la charité, le fait de tourner cela comme un acte bon, est cruellement orgueilleux. Qu'est-ce que son geste implique pour tous ceux qui sont morts pour leur foi, pour leurs idées ? Et le plus invraisemblable dans tout cela, c'est qu'il entend la voix de Dieu - soit disant - et il serait capable par la suite de vivre en reniement total de cette Révélation ?.. Cela m'échappe.
Pour cette raison j'ai trouvé le film anachronique : la question du martyr est posée d'un point de vue contemporain, relativiste, qui poserait l'idée que le vrai martyr, serait celui de se compromettre pour continuer à vivre.


Pour conclure, le seul chrétien qui m'est apparu crédible est le personnage de Kichijiro, éternel apostat mais aussi éternel repentant. Il ne cesse de renier le Christ puis de courir après Rodrigues pour lui demander la confession, comme pour rappeler à ce prêtre ce qu'est la vraie essence du christianisme. Et Rodrigues de lui lancer des regards de dégoûts ou de fureur, marqués par le manque d'une charité sans laquelle sa foi ne saurait être réelle.


Je dois ajouter une chose : je n'ai probablement pas été très inspiré de regarder Le Dialogue des Carmélites (adaptation de la pièce de Bernanos) deux jours avant. Cette oeuvre pose également la question du martyr, de l'orgueil du martyr, le sens du martyr. Le film est également long et lent, mais alors les dialogues sont d'une telle puissance et d'une telle profondeur qu'on en sort nourri pour longtemps. Silence, comme son nom l'indique, nous laisse vide.

PtitPif
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le 12 févr. 2017

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Maurice Georges

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