Hydre emmêle (A LIRE APRES AVOIR VU LE FILM)

En trois parties "Sils Maria" dresse un état des lieux fascinant de la vie de comédienne. Trois temps, trois visages et trois visions qui mettent en abyme les frustrations et ambitions de chacune. Les sentiments de Binoche, Stewart et Chloë Grace Moretz se lient avec leurs rôles et ceux qu'ils interprètent.

La première partie présente habilement le contexte. Infiltration ultra-réaliste (nom de radio, d'acteurs, d'écrivains... existants) dans la vie d'artiste. Dans un train à vive allure Valentine (Kristen Stewart) se plie en quatre pour satisfaire au confort de la vedette Maria (Juliette Binoche). Au fil de d’innombrables coups de téléphone le récit se met en place et les personnages se dessinent. Une jeune femme aspirante comédienne dévouée et en admiration pour une grande du métiers au crépuscule de sa carrière.

Une fois le chemin tracé, elles se cloîtrent dans un village Alpin (Sils Maria) propice à l'écriture et à la répétition pour ce cas précis. L'assistante de Maria lui donne la réplique entre deux randonnées.
La deuxième partie est fascinante dans sa mise en abyme en trois dimensions. La résonance du vécu et des sentiments de chacune des quatre personnages et deux comédiennes est troublante. On ne serait presque plus démêler le vrai du faux, c'est bien vu et bien voulu.
Kristen Stewart est une jeune femme dépassée par l'ampleur qu'a pris sa notoriété. Juliette Binoche joue en fait son propre rôle. La relation privilégiée entre Maria et Whilhem est l'illustration de celle pleine de fidélité et d'admiration qu'elle et Olivier Assayas ont.
Valentine ne fait pas que lire le texte, elle joue très bien son rôle. Il est rapidement évident que la demoiselle n'attend pas que de servir Hollywood. Kristen Stewart excelle dans cette frustration doublée d'admiration. Elle voue une véritable adoration pour sa patronne et sa serviabilité n'est pas foncièrement intéressée. Néanmoins elle attend une forme de reconnaissance de la part de l'actrice. Face à ce manque d'attention, Valentine s'échappe, balance coussins et portables sans violence mais pas sans peine, fuie. Elle n'exprime jamais son envie de percer dans le cinéma (ou le théâtre), mais elle est évidente. Et ça accentue l'égocentrisme de Maria qui ne parle que de ses projets, ses souvenirs et ses sentiments sans être vraiment à l'écoute de son assistante. Le constat qu'elle fait de la pièce exprime à l'envers la sensation de ses personnages.
20 ans après avoir joué la charmeuse Sigrid, Maria se voit offrir le rôle de la femme mûre charmée. Elle déteste ce personnage d'Helena qu'elle trouve sans intérêt et en fin de compte éclipsée par la jeune femme. Les scènes de répétitions appuient très bien sur cette étrange ambivalence entre fiction et réalité. Valentine lance ses répliques comme des perches tendues. Elle défend l'idée d'un duo qui se complète quand Maria veut lâcher le rôle d'Helena. Elle défend une réciprocité dans l'échange entre la patronne et sa stagiaire, comme pour demander un retour à son employeuse. Un besoin d'affection qui est à peu près la même détresse qui pousse Helena au suicide. La blessure n'est pas aussi profonde mais elle est nourrie par la même indifférence. En cela l'actrice Maria est bien plus proche de la jeune femme qu'elle à jouée à ses débuts que le rôle qu'elle reprend. Mais on peu aisément penser que ce fût l'inverse quand elle commençais le métiers. Quand Valentine interroge le passé de la relation entre Maria et Whilhem on devine qu'il était son mentor. Ce que Valentine attend de Maria, elle va le donner à la jeune Jo-ann. Il y a tout de même de superbes scènes de complicité entre les deux femmes. Plutôt qu'un conflit leur différence de génération est nourrissante et cocasse. La scène du casino est géniale, en plus d'être très drôle c'est assez fort que ce soit Kristen Stewart qui défende le blockbuster. On pourrait remplacer les mots "vaisseau" et "combinaisons spatiales" par "vampire" et "loup-garou" que ça ne sonnerait pas différemment. Finement écrit et grandement interprété. La portrait de Jo-ann fait à Maria par Valentine (Kristen Stewart donc), vaut aussi son pesant d'or. Description à base de "googlé" laissant entrevoir une jeune femme prometteuse finalement fracassée par le star système. Le contre coup de découvrir une fille pleine de classe et d'élégance est un superbe pied de nez qui brise l'écran de fumé que peut être le média d'aujourd'hui. Cette rencontre scelle le désespoir de Valentine. La jalousie entre les personnages n'est jamais clairement montrée et pourtant le mot est très utilisé. On ressent assez clairement celle de Valentine à la fin de la rencontre, les louanges échangées l'agace. Le ton n'est pas orageux ou pesant mais une petite grisaille souffle le troisième temps.

Le film ne descend pas en qualité mais le récit perd de sa richesse. En dehors du nouveau binôme qui y est bien exploité, cet épilogue est un peu vain et long. On voit encore plus clairement la difficulté de Maria à laisser place à la relève. Elle n'accepte définitivement pas de voir une autre qu'elle camper le rôle avec lequel tout à commencé. Et elle finira pourtant par faire une recommandation à contre courant de cela, une sorte de prise de conscience.

La mise en scène accentue le bon réalisme du film et s'inscrit dans un ensemble visuel magnifique. La première partie nous laisse admirer les belles actrices, mais surtout on plonge par la suite dans un paysage alpin sublime. Sils Maria (la ville) est plus que dépaysante avec ses montagnes où les nuages s'insinuent comme des serpents, une terre de retraite parfaite. Il y a donc aussi la scénographie de la dernière scène qui brille.

"Sils Maria" est une de ses nombreuses introspection hollywoodienne, très inspiré celle-ci. Un scénario d'une richesse et d'une finesse rares, une très belle photographie et des actrices brillantes. Sans une petite longueur et une certaine lenteur, Olivier Assayas ne serait pas loin d'avoir tout bon.

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le 2 sept. 2014

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Adam Kesher

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