Sils Maria, le nouveau film d’Olivier Assayas éblouit par sa maîtrise du langage cinématographique. Que ce soit au niveau de la lumière (avec toutes les scènes en extérieur, notamment), au niveau des cadrages (voir cette séquence avec la scène de théatre à la toute fin du film), ou au niveau de la mise en scène en général. Mais on est également impressionnés par les magnifiques rôles féminins qu’il a créés ici, celui magistral de Juliette Binoche évidemment, mais aussi celui tout en subtilité de Kristen Stewart, et celui de Chloe Grace Moretz dans une moindre mesure.

Le film raconte une histoire qui se passe en grande partie à Sils Maria, dans les Alpes suisses. Maria Enders (Juliette Binoche) est une actrice connue, respectée, qui a réussi, et qui a démarré sa carrière dans une pièce (« Le serpent de Maloja ») où elle joue Sigrid, la jeune amante plus ou moins manipulatrice d’ Helena, son employeur, qui à la fin de la pièce, se meurt d’amour pour sa belle.
Alors qu’elle est en route pour Zurich avec son assistante Valentine(Kristen stewart), Maria est contactée par un metteur scène pour jouer dans une nouvelle adaptation de la pièce, non plus comme la jeune tentatrice Sigrid, mais cette fois-ci en jouant Helena, la quadra suicidaire .

Le film est une mise en abyme étourdissante, avec au premier niveau la pièce, « le serpent de Maloja », appelé ainsi car du haut des cimes de Sils Maria et au seuil même de la porte de sa maison, l’auteur Wihlelm Melchior pouvait admirer ce fameux nuage en forme de serpent qui assombrit toute la vallée. Dans cette pièce se déploie tout un arsenal relationnel entre les deux personnages, allant du désir au rejet, de la complicité à la jalousie. Parmi ses attributions, Valentine fait répéter son texte à Maria , et on accède ainsi au deuxième niveau du film d’Assayas, qui est la relation entre ces deux femmes, finalement en tous points semblables à celle des deux personnages de la pièce. Avec cette idée d’une certaine fatalité dans ce genre de relation où l’un est le pygmalion et l’autre une sorte de faire-valoir indispensable.
On pourrait même évoquer un troisième volet, sans doute le plus important, qui correspond à la relation de Maria avec elle même, avec le temps qui passe, le statut de star qui s’effrite, les souvenirs qui sont dénaturés par une nouvelle perspective. En effet, La reprise du rôle de la plus âgée des deux femmes est vécue d’une manière très douloureuse par Maria Enders, en proie au doute.

Juliette Binoche est excellente , égale à elle-même, mais en même temps différente, plus puissante, plus sûre d’elle, nourrie de film en film par les rôles exigeants qu’elle s’est choisis, généreuse envers Assayas, et généreuse envers le spectateur dans un spectre de jeu hyper étendu.
Kristen Stewart étonne dans un rôle différent de son contingent habituel, dans un rôle faussement subalterne, faussement décontracté dont elle nous livre avec grâce toutes les nuances.

Olivier Assayas réalise un film d’une grande élégance, et même le « placement produit » Chanel est fait avec classe, ce qui est rarement le cas des placements produit : c’est Juliette Binoche / Maria Enders qui a la main, encore et toujours, et décide du sort de ce shooting Chanel.
Une fois de plus, il fait la preuve du côté protéiforme de son cinéma, aux sujets et aux formes diversifiés, mais avec un souci constant de la mise en scène. En témoigne la très belle scène d’un voyage en voiture de Valentine, avec la surimpression d’un lacis suisse tournoyant et d’une conductrice étourdie ou enivrée, mal en point en tout cas. De même, il ne faut pas rater vers la fin du film cette scène de disparition si parfaitement pensée…

Avec les différents formats audiovisuels qu’il introduit presque malicieusement dans son film, que ce soit le documentaire suranné sur le serpent de Maloja, les fausses émissions de télé ou le faux extrait de film SF avec Chloe Grace Moretz, ou encore les incursions sur Google image, il nous rappelle joliment que sa grande affaire, c’est décidémment l’image, bien que la musique .(Haendel, Pachelbel,…) soit très soignée comme à son habitude
Bea_Dls
9
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le 27 août 2014

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Bea Dls

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